Interview de Julien Oechsli (@JulienOechsli), expert en communication publique et politique et l’un des rédacteurs de l’ouvrage Bleu, Blanc, Pub, 30 ans de communication gouvernementale en France, publié en 2008.
Il y a plusieurs années, vous avez participé à la rédaction de l’ouvrage Bleu, Blanc, Pub qui retrace 30 années de communication gouvernementale. A cette occasion, la question de la distinction entre communication publique et communication politique s’est nécessairement posée. Qu’est-ce qui pour vous distingue ces deux formes de communication ?
Julien Oechsli (JO) : Je considère, pour ma part, que c’est d’abord au niveau de l’émetteur que l’on doit différencier ces deux formes de communication. L’Etat, avec son administration et ses services, engage une démarche de communication publique destinée à expliquer ses réalisations aux usagers du service public et d’une manière plus large au citoyen. En communication publique, il s’agit d’être à la fois dans le registre de l’information et dans celui de la communication, en privilégiant le premier.
S’agissant de la communication politique, l’émetteur sera ici le leader politique, un parti, un élu. Sa communication a pour vocation de valoriser l’homme politique et surtout de conquérir, reconquérir ou tout simplement maintenir son pouvoir. Ce type de communication cible l’électeur potentiel. La communication publique est en revanche anonyme et désincarnée, ce qui complexifie la tâche pour rendre une campagne performative.
Mais la frontière entre ces deux formes de communication est souvent poreuse lorsqu’il s’agit de la communication des gouvernants. En effet, la communication gouvernementale s’inscrit dans la continuité d’une action politique (une grande réforme par exemple impulsée par le politique) et fait appel à des outils de communication publique par l’intermédiaire du Service d’information du gouvernement (SIG) qui informe le public et orchestre la mise en œuvre de la campagne de communication. A la différence de la communication politique, la communication publique est pilotée par l’administration avec une forme de continuité du service public et avec comme perspective l’intérêt général.
Thierry Saussez (ancien directeur du SIG) a l’habitude de dire que la communication publique parle au citoyen tandis que la communication politique parle à l’électeur. Qu’en pensez-vous ?
(JO) : Effectivement, les cibles sont différentes car les objectifs ne sont pas les mêmes pour les raisons évoquées plus haut. Très souvent, les campagnes de communication publique ciblent le citoyen dans sa position d’usager d’un service public ou dans son rôle d’individu responsable.
J’ajouterais également que la communication publique et la communication politique correspondent à deux temps différents. La communication publique est le relais de l’exercice du pouvoir. Elle est là pour témoigner au présent de l’action de l’Etat tandis que la communication politique prépare avant tout l’avenir. On peut dire qu’aujourd’hui la recherche de l’approbation est une préoccupation permanente des gouvernants. Une fois élu, les politiques sont obsédés par leur réélection. C’est le fameux concept de la « Permanent Campaign » consacré par Patrick Caddel, ancien conseiller de Jimmy Carter dans les années 80. Il est encore plus vrai aujourd’hui.
La communication politique se confond même parfois avec la communication publique. Un exemple marquant dans ce domaine : la campagne de communication du Gouvernement de 1985 « Pour nous la France avance » qui avait des allures de bilan préélectoral. Dans ce cas, aussi bien le citoyen que l’électeur est sollicité.
Quelles ont été pour vous les meilleures campagnes de communication publique au cours de ces 30 dernières années ? Pourquoi ?
(JO) : Sans aucune hésitation, il s’agit de deux campagnes réalisées avec le concours de Raymond Depardon. L’une sur le RMI, l’autre au sujet de la sécurité routière.
Celle sur le RMI date de 1989. Elle avait pour vocation d’expliquer cette grande réforme sociale impulsée par Michel Rocard. Il s’agit d’un spot qui portait la signature « RMI, Ne fermons pas la porte à ceux qui sont dehors ». Le but était de donner toute sa force au « I » de insertion et surtout d’éviter toute forme de misérabilisme. Depardon a interviewé une mère de famille et un homme seul. Il a réussi à traiter avec pudeur un sujet sur la souffrance des personnes démunies en trouvant un subtil équilibre entre réalisme et esthétisme. C’est une campagne marquante tant sur la forme que sur le fond car elle a accompagné la grande réforme de ce qu’on a appelé la deuxième gauche.
Quant à la campagne sur la sécurité routière qui m’a marqué, il s’agit de celle de 1999 qui s’intitulait « La route fleurie » et dont la signature était « Si chacun fait un peu, c’est la vie qui gagne ». Elle s’inscrit dans un contexte où Jacques Chirac fait de ce combat une des grandes priorités de son mandat. Alors que précédemment les communicants avaient usé de symboles mesurés pour traiter le sujet, ce spot est beaucoup plus brutal. Il s’inspire notamment de ce qui avait été fait au Royaume-Uni quelques années auparavant. La force de cette campagne est d’entrer dans le registre de la violence acceptable en superposant une musique douce à des images brutales. Les spots ont très bien marché à l’époque et les post tests ont révélé une forte reconnaissance par les citoyens. Elle a contribué à faire baisser le nombre de morts sur les routes. On peut dire que c’est une communication réussie car elle a influencé durablement les comportements.
Qu’est-ce qu’il faut pour qu’une campagne de communication soit un succès ?
(JO) : Trois éléments sont nécessaires. Tout d’abord, il faut une campagne basée sur la force émotionnelle d’un récit collectif afin de confronter le récepteur à ses responsabilités. Aujourd’hui, les campagnes sur la sécurité routière intègrent parfaitement cet aspect. Il faut en quelque sorte mettre en valeur une cohérence entre deux éléments contradictoires : le récit collectif et l’aspiration individuelle.
Il faut également du réalisme, veiller à ce que la promesse de la campagne ne soit pas en décalage avec la réalité perçue.
Enfin, et c’est à mon sens le plus important, une campagne de communication se doit d’être portée par un message politique fort. En la matière, la maîtrise du temps est la clé d’une bonne campagne. Jean-Pierre Raffarin, que j’avais pu interviewer lors de la rédaction du livre Bleu, Blanc, Pub avait particulièrement insisté sur ce point en évoquant sa campagne sur les retraites. Selon lui, le succès d’une campagne passe par des rendez-vous avec l’opinion qu’il faut structurer dans le temps : un Rendez-vous politique, un Rendez-vous médiatique et enfin la campagne qui vient en aval pour expliquer les choix politiques.
Pensez-vous qu’il vaut mieux que les campagnes soient réalisées en interne ou avec un prestataire extérieur ?
(JO) : C’est variable. Tout dépend du projet et surtout du message que l’on veut faire passer. Il est certain qu’en matière de communication gouvernementale, les campagnes les plus efficaces sont celles qui ont été réalisées par des agences. De plus, les créatifs savent très bien aborder l’univers normatif qu’est l’Etat tout en sachant se différencier des codes du privé. L’essentiel est avant tout de fournir un travail collectif où tout le monde est en veille sur les tendances de communication publique à l’international. La communication gouvernementale se conçoit à travers un lien fort qui unit l’agence et les communicants publics. Grâce à ce lien fort, les argumentaires et la déclinaison de la campagne seront de qualité.
Je note cependant une tendance des administrations à vouloir internaliser leur communication. C’est notamment le cas des collectivités locales qui développent un vrai savoir-faire en la matière avec des agents experts des campagnes de communication et qui travaillent, en interne, avec les mêmes outils que les agences. En outre, à l’heure de la digitalisation, on peut faire beaucoup en créant du contenu en interne et diffuser des messages sur les réseaux sociaux.
Pensez-vous que les campagnes de communication TV sont encore les plus efficaces ou les nouveaux médias ont-ils modifié la donne ?
(JO) : A mon sens, le spot TV est toujours efficace en termes d’audience car il cible un public qui n’a pas forcément accès aux nouveaux médias. Les scores de mémorisation d’une campagne (capacité à se souvenir de l’émetteur et de la signature) sont souvent meilleurs que sur le web.
L’enjeu est ensuite d’opter pour une bonne stratégie virale de ce même spot sur les réseaux sociaux. A ce sujet, le SIG s’est beaucoup professionnalisé et assure aujourd’hui une bonne viralité des campagnes grâce notamment à la coordination interministérielle qu’il a mis en place. L’avantage des réseaux sociaux, c’est qu’ils permettent de diffuser un message à grande échelle mais pas forcément de le mémoriser car il se trouve souvent noyé dans une multitude d’informations sur Facebook, Twitter… Finalement, TV et réseaux sociaux sont donc complémentaires car ils permettent de toucher des publics différents.
Parmi les campagnes de communication lancées après la parution de l’ouvrage, quelles sont vos préférées ? Pourquoi ?
(JO) : Après la parution de l’ouvrage Bleu, blanc, pub, le SIG a cherché à communiquer sur des thématiques qui avaient été peu développées jusqu’alors. C’est le cas de l’Education et de la question du harcèlement scolaire. Un spot très bien construit qui place la souffrance de l’élève au cœur du récit a permis de délier les langues sur un sujet qui était mal compris tant du côté des enseignants que des parents.
L’Etat a fait également de bonnes campagnes de recrutement dans la Police et la Justice. C’est la notion d’utilité et de service au citoyen qui est ici mis en valeur. On voit que l’Etat prolonge la campagne qu’il avait faite en 2002 « Bien plus qu’un métier ». L’idée étant avant tout de mettre en avant la marque employeur de l’Etat en attirant les talents vers des métiers qui étaient naguère jugés peu épanouissants. Finalement, on voit que sur ce sujet, il y a une certaine continuité dans les grandes thématiques de la communication gouvernementale et une cohérence de contenu dans la durée.
Enfin, j’ai trouvé que la campagne de sensibilisation sur la discrimination à l’embauche qui a été lancée l’année dernière était très réussie. Plus de 2000 affiches ont été déployées notamment dans le métro avec la signature « Les compétences d’abord » avec des exemples de discrimination en fonction de l’origine, de l’âge, du nom… Elle ciblait principalement les recruteurs et expliquait concrètement les mesures prises pour lutter contre cette réalité : opération de testing à l’embauche, conduite d’une étude sur le coût économique des discriminations. C’est le type de communication dont le contenu très opérant peut se révéler efficace.
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier)
Le lien vers l’interview de Julien Oechsli au format slideshare, partageable et téléchargeable > http://fr.slideshare.net/damienarnaud/ccf31bleublancpub
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