Ancien collaborateur de cabinet et Directeur de la communication de la ville de Chalon-sur-Saône et du Grand Chalon, Grégoire Ensel (@gregensel) est aujourd’hui en charge de la communication à Grand Dijon Habitat. Il donne également des cours sur la Communication des entreprises, des collectivités et la révolution numérique dans le cadre du Master 2 Euromédias de l’Université de Bourgogne et intervient également lors de formations pour le CNFPT à l’INSET d’Angers. C’est aussi un contributeur régulier de Siècle digital.

[Afin que les internautes puissent enrichir cette interview et faire connaître d’autres exemples d’applications intéressantes, nous ouvrons les commentaires sous cette interview. N’hésitez pas à prendre part au débat] 

Selon vous où en sont les collectivités locales en matière de pratiques numériques ?

Grégoire Ensel (GE) : Ce champs est extrêmement vaste et les choses vont très vite en ce domaine. Les progrès faits ces dernières années, ces derniers mois par les collectivités locales et les acteurs de la communication sont réels et significatifs. Comme le montre le dernier baromètre de la communication locale élaboré par Harris Interactive, l’agence Epiceum, en partenariat avec Cap’Com et le groupe La Poste, nos concitoyens nous poussent en ce sens et sont de plus en plus demandeurs en ce domaine. C’est une tendance de fond, je suis certain que la prochaine vague de ce baromètre qui sera livrée cet autonome va confirmer cela ! Mais, je considère que les offres numériques des collectivités sont encore très différentes les unes des autres à taille égale de collectivités et que les expériences valorisées dans les réseaux de communicants publics cachent dans les faits d’importantes disparités.

Pouvez-vous préciser votre pensée ?

(GE) : Je distingue 3 groupes de collectivités, c’est un peu comme lors d’une étape du tour de France dans les Pyrénées.

Le premier groupe est constitué par une minorité de collectivités, ce sont les échappées qui loin devant les autres avancent vite, expérimentent, ouvrent la voie sur les réseaux sociaux, la démocratie participative, les démarches en ligne et les applications… Ce groupe est constitué de métropoles ou de grandes villes. Fortement accompagnées et outillées par des experts, se sont de véritables laboratoires de la communication publique numérique. Elles sont extrêmement valorisées et à juste titre. Ce sont des éclaireurs.

Le deuxième groupe, le peloton de tête, a su structurer une offre numérique de qualité basée sur une galaxie de sites web (site de la collectivité, du conservatoire, de la bibliothèque…) voire même d’applications. Au travers de leurs supports numériques, ces collectivités apportent des réponses pratiques et utiles au quotidien de citoyens qui habitent leur territoire et s’aventurent avec plus ou moins de succès sur les réseaux sociaux. Cette conquête des réseaux sociaux par ce peloton de tête a été rapide et rendue possible par la détermination des directeurs de la communication conscients du potentiel. Ils bénéficient d’un Directeur général, d’élus ouverts à ce nouveau type de relation (ou du moins pas réfractaires). Le plus souvent, le recrutement d’un Community manager fraîchement formé vient asseoir cette conquête et permet quelques tests in-situ lors d’un événement sportif, d’une manifestation en direction des adolescents… Dans le même temps, elles observent avec envie les échappées et attendent que les fruits de leurs expérimentations soient tirés et surtout que les coûts baissent.

Le troisième groupe est formé d’une grande masse de collectivités silencieuses de tailles très diverses avec des communicants publics aux niveaux de formation initiale ou continue très divers qui s’ingénient à construire une offre numérique la plus qualitative possible avec des élus plus ou moins moteurs. Ces élus sont en proie avec la réorganisation des territoires qui mobilisent leur énergie dans un contexte où l’argent public devient rare, très rare… La communication publique n’est pas toujours la priorité de ces élus, même la nouvelle génération des élus locaux vient nuancer cela. Ici la pratique des réseaux fait peur, les services ne sont pas prêts. Les collègues sont peu présents à titre professionnel sur les réseaux sociaux, ils sont sur beaucoup de fronts mais sont convaincus qu’il est urgent de prendre ce virage numérique. Ils cherchent à se former pour s’outiller et accompagner leur collectivité à évoluer lorsque leurs élus et leur administration seront prêts et volontaires. En attendant, ils temporisent comme ils le peuvent et parent aux urgences, aux crises détectées ici ou là sur les réseaux sociaux. Je recommande à ces collectivités d’assurer leurs fondamentaux en matière de communication publique et de ne pas chercher à être à tout prix sur les réseaux sociaux tout en tenant cette position défensive. Je conseille à ces collègues d’exercer une veille professionnelle sur Twitter, LinkedIn… et sur des sites ou blogs qui parlent de notre actualité métier comme celui-ci, celui de Marc Thébault, celui de Cap’com bien entendu, sans oublier des sites ou blogs centrés sur la communication, le marketing, l’actualité des réseaux sociaux comme Siècle digital ou le site BrandNewsBlog.

L’observatoire #SocialMedia des territoires, créé à l’initiative de Franck Confino, est particulièrement riche et il est très prometteur ! Sur la base de leurs expériences, les 150 experts mobilisés nourrissent les débats, partagent et confrontent leurs avis, pratiques avec toute la puissance du web 2.0. Ce qui se prépare est très riche et sera à regarder avec beaucoup d’attention. Ce travail de titans va nous outiller très concrètement. Il y a peu de communautés de communicants capables de se mobiliser de la sorte pour produire un contenu d’une telle richesse et ce avec une démarche aussi agile ! C’est probablement un signe de la force des communicants publics, c’est aussi le fruit de l’esprit positif et collaboratif que Cap’com a su insuffler depuis sa création.

Quels sont selon vous, les ingrédients d’une stratégie numérique réussie ?

(GE) : Premier ingrédient, c’est le site internet de la collectivité. C’est le socle de départ de toute stratégie numérique. Il s’agit de l’élément fondamental sur lequel toute stratégie numérique va pouvoir s’appuyer. Négliger son site internet cela revient à s’engager dans des sables mouvants qui rendront hasardeux tout chemin vers la conquête de son audience, de ses cibles.

Je pense que cette étape est quelque fois négligée tant sur le fond que sur la forme. Et ce n’est pas ou du moins ce n’est plus, une question de moyens ou de taille de collectivité. En effet, il me semble que toutes les collectivités sont aujourd’hui à pied d’égalité en ce qui concerne l’accès à des prestataires de qualité, à des tarifs abordables. Ce qui distingue un bon et beau site internet d’un mauvais, ce n’est pas le budget que l’on y met mais ce qu’il contient, son ergonomie et son graphisme qui mettent en valeur son contenu. Soyons humbles, n’oublions pas que près de 80% des connexions sur nos sites de collectivités concernent la vie quotidienne comme en atteste les requêtes formulées sur les moteurs de recherche internes aux sites. Aujourd’hui, le site internet d’une collectivité est sa première carte de visite systématiquement consultée par de futurs nouveaux arrivants. Il donne le ton et témoigne (ou non) de l’attractivité du territoire.

Je suis conscient que bien souvent le temps manque, que les urgences se succèdent et une fois la V1 publiée, la V2 n’est jamais mise en ligne comme on se l’était juré… Il faut aussi convaincre sa hiérarchie et ses élus de la nécessité d’investir chaque année sur sa maintenance tant technique, que fonctionnelle ou encore graphique.

Le deuxième ingrédient indispensable, c’est le prestataire avec lequel on travaille pour construire cette offre. Il faut trouver le bon prestataire ou plutôt le bon prestataire/partenaire pour construire une relation sur deux à trois ans qui permettra de travailler dans la durée et de gagner de temps en se comprenant de mieux en mieux et de plus en plus vite.

Par ailleurs, l’offre de CMS open source (wordpress, joomla, drupal, Typo3…) vient conforter cette démarche en proposant une large communauté de développeurs, véritable garantie de sa pérennité et synonyme de multiples autres prestataires en cas de de défaillance du vôtre. Je conseille de fuir absolument toutes les solutions développées par un prestataire isolé ou basées sur une communauté de développeurs qui se comptent sur les doigts des deux mains (CMS propriétaire) dont on a aucune garantie sur la pérennité de maintenance et d’évolution (fréquence des mises à jour, tarifs, qualité…). Ces solutions sont en voie de disparition mais existent encore. Méfiance !

Les derniers ingrédients sont la patience et la détermination. Inutile de se précipiter et de vouloir expérimenter si l’on n’est pas prêt à avancer en terre inconnue. Il faut un cap, peaufiner son site, savoir attendre quelques mois si nécessaire en prenant le temps de convaincre en interne, de trouver le bon prestataire, d’élaborer la bonne stratégie, plutôt que d’avancer à marche forcée et de se trouver en difficulté face à sa hiérarchie et à ses élus.

Les institutions publiques créent de plus en plus d’applications. Est-ce que vous estimez que ces applications sont des outils de communication publique ? Ou, plus globalement, qu’elles participent d’une démarche de communication publique ?

(GE) : Elles participent de toute évidence à une démarche de communication publique et elles vont faire entrer les collectivités dans une nouvelle ère. Elles doivent considérer que les publics sont de plus en plus aguerris et avertis. Nous devons donc travailler ces applications avec soin et ambition. Avec soin, parce que les futurs utilisateurs sont désormais aguerris et éduqués à l’utilisation des applications et ils attendent une véritable expérience d’utilisation avec des services utiles et pertinents, de l’originalité dans le graphisme et de l’intuition dans la navigation. En cas de déception, le verdict est immédiat, c’est la désinstallation pure et simple !

Avec de l’ambition car elle doit être enrichie de services uniquement présents sur l’application. Il faut multiplier les prétextes de connexion et répondre aux besoins que l’usager rencontre au quotidien et en mobilité. Là encore, il faut accepter avant même de la développer que votre application est un produit périssable compte tenu des mises à jour très régulières des systèmes d’exploitation d’Apple, d’Android… Comme pour un site internet, il faut donc prévoir d’investir très régulièrement pour assurer sa maintenance, l’enrichir avec de nouvelles fonctionnalités, de nouveaux services pour la faire vivre et créer le réflexe de connexion. Il est indispensable de stimuler la curiosité afin que l’application s’installe dans le quotidien des utilisateurs. L’une des clés pour réussir son application c’est d’entendre les besoins, les envies des utilisateurs en montrant à la communauté qu’ils forment qu’elle a été entendue lors des mises à jour. De ce point de vue, le lien que la SNCF a su nouer avec les utilisateurs de ses applications est remarquable.

Va-t-il y avoir selon vous de plus en plus d’applications produites par les institutions publiques ?

(GE) : Oui, la culture de l’usage des données infuse lentement mais sûrement chez les collectivités pionnières. Toutes nos collectivités regorgent de fichiers et de données domiciliées dans les différents services et directions. Ces « datas incognitas » sommeillent et ne demandent qu’a être exploitées, valorisées. Je pense par exemple et pour ne citer qu’eux, aux services techniques, aux médiathèques, aux délégataires de services publics comme dans le domaine des transports et de la mobilité. Je pense également aux logiciels métiers qui intègrent la possibilité de dialoguer avec nos sites ou applications sans que nous n’exploitions ce potentiel pourtant bien facturé et payé !

Je suis admiratif de l’application « Nantes dans ma poche ». C’est un petit bijoux qui illustre parfaitement mon propos. Nous sommes là dans l’hyper-quotidien, dans la ville pratique. Elle agrège des flux et des informations qui étaient épars, proposés par différents opérateurs, et propose une ergonomie originale et très efficace. Le grand prix Cap’com qui lui a été attribué est mérité, il place le curseur au bon endroit  !

Petit à petit cela va se généraliser avec l’arrivée de nouveaux collaborateurs dans nos équipes et les évolutions légales qui ouvrent l’accès aux datas publiques. La dynamique s’enclenche, là aussi il faut être patient.

Cela signifie-t-il que les services de communication doivent maintenant recruter des professionnels du développement ?

(GE) : Ce sera probablement le cas pour les collectivités les plus importantes comme les métropoles. Mais pour la grande majorité des collectivités ce ne sera pas possible, il faudra alors trouver le bon prestataire partenaire et nouer des collaborations d’un nouveau genre avec les Directeurs des systèmes d’information de nos collectivités. Ces sujets font appel à des compétences qui dépassent largement nos directions. En interne, nous devons faire cause commune avec le Directeur des systèmes d’information, c’est notre allié naturel. En externe, il faut faire confiance aux startups et s’ouvrir à leurs compétences. En France, la Frenchtec regorge de talents et de compétences. C’est aussi le rôle des collectivités que de leur faire confiance et de prendre des risques en les sollicitant. Ces risques sont limités et c’est tellement enthousiasmant et enrichissant !

Le développement des applications va-t-il s’accélérer grâce à la politique d’ouverture des données publiques ?

(GE) : Je l’espère et je le souhaite. La SMART CITY est encore lointaine pour beaucoup d’entre-nous et ce type d’application constitue probablement une étape de transition. La croissance exponentielle des objets connectés qui sont de gros collecteurs de données va venir conforter cela et ouvre des horizons insoupçonnés tout en posant des questions de fond. Nous vivons une époque de bouleversements importants et nous ne sommes qu’aux prémices de la révolution numérique dont nous cernons à peine les contours. Je pense qu’il ne faut pas être béat d’admiration ou à l’inverse techno-réfractaire face aux (ré)évolutions en cours ou à venir. Soyons lucides, ouvrons grand les yeux et prenons toute notre part dans les chantiers qui s’ouvrent !

Interview réalisée en avril 2017


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