Faire un pas de côté, de temps en temps, afin de percevoir autrement la communication. Guidé par cet état d’esprit, le Cercle des Communicants Francophones a contacté François-Xavier Heynen, écrivain belge, docteur en philosophie et chargé de communication publique afin de lui donner la parole. Une tribune qui ouvre de nouvelles perspectives de réflexion.

Tribune de François-Xavier Heynen

« La publication récente de Vers davantage d’éthique en communication (Catellani, Cobut et Donjean, chez Edipro) nous servira de base pour tenter de comprendre le rôle de l’éthique dans la communication. Nous utiliserons les notions d’éthique et de valeurs tirées de la philosophie en abordant l’incontournable concept de neutralité dans l’Etat moderne. Devant cette exigence, la communication publique peut-elle être éthique ?

Qu’est-ce que l’éthique ?

Classiquement l’éthique (ou la morale) peut se définir comme la philosophie de l’action : comment agir pour s’approcher du bien et s’éloigner du mal. Faire la morale à quelqu’un, c’est lui rappeler ce qu’est le bien et ce qu’est le mal. Cela présuppose une connaissance suffisante du bien de celui qui se permet la remarque. Il convient donc de définir le bien ?

Le Bien (qui prend souvent une majuscule) peut venir d’un monde divin et être entretenu par une communauté religieuse. Il peut aussi résumer un idéal commun à une groupe déterminé. Il peut également être choisi par un seul individu, dans une approche nietzschéenne par exemple. Ces éthiques sont limitées à leurs communautés, même si ces dernières proclament une religion universaliste et/ou un régime théocratique.

Dans le monde des institutions étatiques, le régime politique qui s’est installé avec la Modernité a choisi de garantir aux citoyens la neutralité de l’Etat. L’Etat a donc été vidé des différentes morales (principalement catholique ou protestante).

Dans le monde de l’entreprise, l’introduction de l’éthique présente deux sources de déséquilibre. D’une part, puisque l’éthique est souvent fédératrice pour une communauté particulière, elle peut représenter un contre-pouvoir face à la hiérarchie. Ce qui peut générer du mal-être pour les autres travailleurs, les agents et les clients si cette communauté est fortement représentée.

D’autre part, un autre argument plaide en faveur de l’absence d’éthique au sein de l’entreprise. Classiquement, les libéraux affirment que le travail du salariat joue un rôle social grâce à l’intégration sociale des travailleurs. Une intégration qui passe par l’extraction des salariés de leur communauté (et donc de leur morale) pour les faire entrer dans l’univers conceptuel du marché. Par ailleurs, l’entreprise est bien le lieu d’une certaine morale, celle de l’économie, largement inspirée par l’utilitarisme ou par de sentences qui s’opposent aux morales traditionnelles et qui peuvent se réduire à « la fin justifie les moyens » ou encore « l’argent n’a pas d’odeur ».

Dans ce double contexte, comment peut-on appeler de ses vœux une intensification de l’éthique ? C’est pourtant l’objectif des auteurs. Certes il s’agit d’un livre professionnel et pratique mais nous avons tenté de percevoir leur conception de l’éthique.

Dérives éthiques

Les auteurs partent du constat que citoyens et consommateurs fustigent les dérives éthiques des décideurs publics et privés : « On assiste de la part de la société civile à la volonté d’exiger qu’on lui rende des comptes…. C’est de légitimité que l’on parle aujourd’hui, d’un permis d’exploiter, d’un respect des intérêts citoyens… l’entreprise n’est plus uniquement vue comme une entité économique mais également comme une organisation devant justifier ses actions et ses finalités à une communauté humaine. ».

Au niveau de la communication, les auteurs voient un atout à l’éthique: « L’observance de l’éthique pourrait aussi être une façon de renforcer leur identité professionnelle (des communicateurs) et de se positionner dans l’entreprise. En créant autour de leurs actions, aussi bien du côté de la direction que du personnel, confiance et respect ». Il s’agit d’un véritable credo: « Le métier de communicateur doit se réinventer autour des balises et d’exigences éthiques. C’est ainsi et seulement ainsi qu’il (re)trouvera ses lettres de noblesse ».

Les auteurs livrent leur définition de l’éthique: « Réflexion argumentée en vue du bien agir. Propre de tous, et pas seulement des spécialistes (les philosophes) »  ou bien « L’éthique relève de la liberté et de la décision, c’est donc une affaire d’individu ». On regrettera que dans les différentes définitions abordées, il n’est jamais fait référence à la caractéristique, pourtant essentielle et exprimée plus haut, qui fait que le Bien est défendu par un groupe. Cet oubli conduit à des affirmations discutables: « La mise en œuvre des normes légales est donc une activité qui a sa propre dimension éthique comme les autres. ». Nous soutenons, au contraire, que la caractéristique du droit est, dans un Etat Moderne, de s’affranchir des éthiques partisanes pour atteindre la neutralité sacralisée par le vote démocratique des lois. La Belgique a connu un exemple criant de la confusion entre les deux lors du refus par le Roi Baudouin de voter la loi sur l’avortement.

Premiers pas vers l’éthique

Les auteurs montrent les intérêts multiples de développer honnêtement la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) dans les entreprises. La vague d’intérêt de la RSE  « n’est pas une mode mais une évolution majeure, qui doit influencer aussi les politiques de communication des entreprises ». La RSE se présente donc comme une sorte d’ébauche de ce que devrait être l’éthique en communication. Mais il existe des obstacles au développement de l’éthique en communication : l’absence de contraintes légales à respecter l’éthique ou encore l’éthique utilisée comme simple argument marketing.

Une intéressante partie consacrée à l’influence de la structure de communication développée dans l’institution sur l’éthique véhiculée permet aux auteurs de conclure que « s’intéresser à l’éthique implique que nous ne pouvons dissocier l’individu du milieu dans lequel il évolue, les deux acteurs étant en interaction permanente ». Ou bien encore l’éthique est un « processus dynamique impliquant tous les acteurs de l’organisation et combinant une multitude de facteurs organisationnels, fonctionnels, culturels, situationnels ». Avec cette nouvelle définition, le rôle du dialogue devient essentiel pour la constitution de chartes ou de plan d’actions au sein d’une véritable politique d’éthique. Au passage, il s’agit en fait de trouver une communauté pour créer l’éthique. L’ouvrage présente plusieurs outils pour y parvenir dont une efficace méthode d’analyse en sept étapes pour dépasser les dilemmes éthiques.

Valeurs ou qualités ?

Les auteurs se penchent ensuite, mais peut-être auraient-ils du commencer par là, sur la notion de « valeur », terme polysémique par excellence.  Les auteurs ne définissent malheureusement pas clairement ce qu’ils entendent par valeurs, se contentant plutôt d’énoncer plusieurs définitions puis de citer des exemples de valeurs : intégrité, esprit de service, respect, orientation résultats, responsabilité, innovation.

Mais pourquoi utiliser le terme de « valeurs » plutôt que celui de « qualité ». Un communicateur est-il intègre parce qu’il défend une valeur ou parce qu’il en dispose ? Vaut-il mieux « ne pas mentir » ou soutenir « la lutte contre le mensonge ». Défendre une charte dans laquelle est inscrite la lutte contre le mensonge est un engagement qui permet une plus grande distanciation.  Quelle approche est-elle la plus éthique ?

A contrario, un autre phénomène entre en ligne de compte avec l’existence de cette charte : un auto-contrôle de leur comportement par les employés, indirectement imposé par la hiérarchie. En effet, la charte devient un outil contraignant d’autant plus invasif qu’elle a été rédigée collégialement et qu’elle porte le qualificatif d’« éthique ».

Cet auto-contrôle interne nous semble tout particulièrement problématique pour les communicateurs qui, vu la spécificité de leurs missions, c’est-à-dire le rapport à la vérité, devraient plutôt être placés sous la protection d’une charte rédigée non par leurs collègues mais bien par leurs pairs et, donc, externe à leur entreprise. Nous plaidons pour l’instauration d’un tel code déontologique qui devrait idéalement recevoir une officialisation par l’Etat, pour assurer un certain niveau de neutralité.

Eblouissement éthique

L’usage du mot « éthique », sans référence à une communauté ou à une tradition, nous semble une réappropriation du terme ou, pour être plus précis, un dévoiement. Pourquoi appeler « charte éthique » un document de type « code de bonne conduite » que l’on pourrait qualifier plus justement encore « déontologie » pour les communicateurs.

Il faut se méfier également d’une sorte d’éblouissement ou plutôt d’aveuglement éthique qui nous guette plus ou moins inconsciemment. C’est ce qui effleure parfois dans l’ouvrage : « Nous pensons que, plutôt que de parler de communication éthique, il est mieux de parler d’éthique en communication. La sphère morale est en effet une seule, et l’éthique, activité rationnelle qui cherche des solutions dans les situations concrètes, est toujours la même. Ce qui change, ce sont, évidemment les types de situations, de technologies, de contexte organisationnel et culturel, etc. ».

Cette sphère morale unique est donc, implicitement, l’horizon de l’approche éthique des auteurs puisqu’il n’en existe qu’une seule d’après leurs propos. Ce qui constitue une violence extrême pour les autres morales qui existent pourtant bel et bien. Un Etat neutre et moderne peut-il se permettre de laisser une éthique s’imposer, même dans le secteur particulier de sa communication ?

Tribune publiée en février 2019