Interview du Professeur Olivier Arifon, également consultant en communication et chargé de cours à Bruxelles, à l’Institut des Hautes Etudes en Communications Sociales (IHECS).
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
Olivier Arifon (OA) : En Italie, l’exemple du Mouvement 5 étoiles (M5S) est intéressant. Dès le début, les dirigeants du mouvement ont mis en place une gestion des données afin d’identifier les thèmes dominants parmi les internautes. La société Casaleggio Associati, créée à cet effet, a permis d’injecter les sujets les plus populaires dans les discours du M5S, en temps quasi réel. Associés aux techniques de micro ciblage, chaque citoyen sur les réseaux sociaux, a entendu puis reçu ce qu’il était prêt à croire. Le programme du M5S est l’agrégation de ces éléments et la somme des votes a permis de gagner plusieurs élections. Ici, les personnalités politiques ont parlé à partir de ce que les citoyens veulent entendre. Reste à voir l’efficacité et la crédibilité dans le temps de ce type d’approche.
Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ?
(OA) : Dans le cadre de l’Union européenne, la communication politique de la Commission fait l’objet d’un réel débat, surtout lors des élections du Parlement européen, communication qui s’est construite autour d’une politique de la règle (le monopole de la Commission). Les pros, comme les anti européens pour des raisons différentes, sont en faveur d’une politique de l’événement, favorisant le passage d’une Union dotée de valeurs reposant sur des règles, à une Union dotée de pouvoirs comme tout Etat constitué. Dans l’Union, un paradoxe se dessine pour dégager des principes de communication. Répétant les valeurs de paix et de règles depuis le début, l’Union européenne doit passer à des actions capables de montrer son pouvoir au travers d’une communication cohérente et articulée.
Pourquoi les citoyens sont-ils très critiques envers la communication politique ?
(OA) : La communication politique est, entre autres, associée à l’influence et à la manipulation. Si ces éléments sont déjà anciens, le développement du digital et des techniques d’influence ont accéléré la critique envers les politiques et leurs communications, puis par effet collatéral, envers la démocratie. Trois phénomènes sont à l’œuvre. Il y a lassitude et méfiance des citoyens face à des générations de personnels politiques concentrés sur leur communication. Dans les démocraties européennes, les compétences critiques des citoyens existent et ces derniers sont capables de décrypter assez facilement les stratégies. Et, afin de contrebalancer cette communication, certains citoyens, partis, activistes et pays hostiles sont occupés à créer le doute sur la véracité de toute communication politique élaborée par un gouvernement.
Les algorithmes radicalisent-ils la communication politique ?
(OA) : Les réseaux sociaux constituent un espace d’activité et d’information occupés dès leurs émergences par des citoyens soucieux de faire passer leurs idées. A ce stade, tout semble parfait. Cependant, les algorithmes ont permis le développement d’une gestion « industrielle » des messages : faux comptes, robots (bots) et fermes à trolls. La dynamique est ainsi passée de citoyens convaincus et motivés à des officines, des pays ou des acteurs chargés de faire le relais de positions tranchées, souvent émotionnelles et exclusives. Les algorithmes permettent aussi le micro ciblage, où chaque électeur reçoit un message adapté à ses opinions, signal de l’adéquation entre le parti émetteur et le citoyen. L’espace de débat d’une société démocratique disparaît au profit d’un espace conflictuel où les opinions remplacent des faits.
Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?
(OA) : Les réseaux sociaux, en particulier Twitter sur les questions politiques, favorisent chez certains militants une parole acerbe et déviante, où l’attaque contre des personnalités se fait sur des bases idéologiques, physiques et personnelles. Le constat d’une manipulation de l’information intentionnelle, visant à engendrer des perturbations est bien connu. Elle peut être soit dissimulée, soit légitime et transparente (telles les chaines d’informations en continu). Les dangers sont la polarisation, la confusion et la perturbation des processus d’élections.
Dans un cadre de l’Union européenne, diverses solutions sont proposées et testées : Commission et Parlement européens et recommandations, société civile et consortiums pour le fact-cheking (pour la vérification des faits), journalistes et éditeurs, écoles de journalisme pour la formation, plateformes de médias sociaux et contrôle des comptes. Protéger les processus démocratiques de l’extrémisme revient, d’une manière préventive, à inciter les médias sociaux à modifier leurs règles d’ouvertures de comptes et, de manière curative, à identifier les utilisateurs, administrateurs, citoyens ou bots afin d’exposer la réalité des pages, des arguments et des processus.
Interview publiée en décembre 2019
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