Interview de Jean-Baptiste Le Corf, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Rennes 2. Il livre sa vision de la communication publique, du marketing territorial et de la démocratie participative.
Comment définiriez-vous la communication publique ?
Jean-Baptiste Le Corf (J-B le C) : La Communication publique recouvre la communication de l’Etat, des collectivités territoriales et plus largement des services et des institutions publiques. En tant qu’instrument des politiques publiques, elle a pour missions le partage d’informations d’utilité publique, l’écoute des administrés et le soutien du lien social, mais aussi de valorisation ou de légitimation de l’institution (se faire connaître et reconnaître). Elle accompagne les changements comportementaux par la promotion de certaines valeurs et constitue une part essentielle de la communication non marchande avec la communication des associations notamment. Dans une visée critique, on peut aussi la définir comme outil de gouvernement de la société, voire comme une forme de domination de celle-ci par certaines techniques de gestion des émotions.
Estimez-vous que la communication publique et la communication politique sont parfois mélangées ? Si oui, auriez-vous des exemples ? Faut-il éviter ces mélanges ? Si oui comment ?
(J-B le C) : La communication publique n’est pas une communication institutionnelle qui serait neutre. Elle est subordonnée très fortement à divers intérêts politiques et accompagne les transformations de l’activité politique. Pour cette raison, la frontière entre communication publique et communication politique est plus qu’ambiguë. C’est tout particulièrement le cas de la communication territoriale. Si l’on se penche sur les exemples des sites Internet municipaux ou du magazine local notamment, on s’aperçoit que la valorisation de l’action publique et de l’équipe municipale est tout aussi présente que les informations pratiques sur les services publics. Cette proximité entre la communication publique et la communication politique s’explique aussi par le fait que le service communication peut être proche des acteurs décisionnaires (comme lorsqu’il est rattaché au cabinet du maire au sein d’une mairie).
Quelle définition donneriez-vous du marketing territorial ? Le tourisme en fait-il partie ?
(J-B le C) : Le marketing territorial désigne l’application d’instruments du marketing à des sites géographiques. Il est caractérisé par une philosophie axée sur les « clients » venus d’ailleurs (comme les touristes, les investisseurs, les entreprises extérieures) et sur la communauté proprement dite (les résidents et les entreprises locales). La notion de marketing territorial englobe celle de communication territoriale. Elle n’est donc pas réduite uniquement à la promotion du territoire (discours, campagnes de communication et production d’une image de marque territoriale), elle s’ouvre aussi à des enjeux de management des territoires et de gestion urbaine reposant sur un principe de gouvernance des acteurs. Au-delà de la seule communication (production de discours), ce marketing prend la forme d’offres territoriales et plusieurs domaines de gestion des villes sont concernés : l’organisation des services publics, la communication, l’urbanisme, la culture, le tourisme, le développement économique, etc. Dans une logique d’attractivité, le marketing territorial correspond donc à l’ensemble des discours et des services originaux mis en œuvre, en vue d’assurer une adéquation permanente à diverses cibles (touristes, résidents, entreprises, etc.), tout en poursuivant les missions d’intérêt général auprès de tous leurs administrés.
Estimez-vous que les actions de démocratie participative font partie du domaine de la communication publique ?
(J-B le C) : Une dimension de la communication publique s’illustre par diverses pratiques de démocratie participative, en réponse à un cadre législatif de lois en faveur de la « participation citoyenne » depuis les années 1990. Les objectifs rattachés à la participation citoyenne sont généralement la transparence de la vie publique et l’augmentation du pouvoir d’agir. Ces objectifs qui sont au centre des valeurs de la communication publique ne sont pas à mettre au même niveau. Certaines actions relavant plus de la « concertation » visent d’abord à informer ou éduquer, et dans une certaine mesure, à faire adhérer et légitimer action publique, et cela en écho à la défiance dans les institutions et les personnels politiques. D’autres initiatives de « participation » s’inscrivent davantage les nouveaux modes de gouvernance des institutions publiques (conception participative, gestion collaborative).
Quel est l’historique de la création du marketing territorial ? Dans quels pays et quels domaines puise-t-il ses racines ?
(J-B le C) : Sous l’effet des lois de décentralisation, les services de l’information des collectivités se transforment en services communication confiés à des professionnels. Intégrés aux collectivités territoriales, ces services communication ont des fonctions relativement similaires à ceux des entreprises : vanter les attraits du produit « ville ». À la suite des élections municipales de 1977, les nouveaux élus prennent conscience que les ressources fiscales sont insuffisantes pour soutenir d’importants projets d’équipement. La communication publicitaire est donc, d’une certaine manière, un substitut aux opérations d’aménagement urbain ou à l’action culturelle. Dès 1982, plusieurs grandes campagnes de communication des collectivités visent à promouvoir l’attractivité du territoire. C’est le cas de la campagne de publicité nationale « Montpellier la surdouée », impulsée par la politique de développement de la ville souhaitée par le maire Georges Frêche et son équipe, et qui met largement en scène les capacités de la ville et de ses habitants, à travers l’image d’un bébé mathématicien, incarnant l’idée que le territoire offre la capacité aux talents de se développer.
Auriez-vous un ou deux exemples de campagnes de recrutement réussies ?
(J-B le C) : Depuis 1997, l’Armée de Terre devient professionnalisante suite à la suspension du service national obligatoire. La question du recrutement est devenue centrale pour trouver de nouvelles façons d’augmenter les rangs. Pour assurer lesmissions de sécurité intérieure renforcées suite aux attentats sur le sol français de 2015 et appuyer l’opération Sentinelle, l’Armée de Terre française a lancé sa 9ème campagne de communication de 2016 à 2018 (2,6 millions d’euros hors budget d’achat d’espaces publicitaires) dans l’objectif de recruter 50% de soldats supplémentaires en 2016 par rapport aux années précédentes : soient 15 000 jeunes Français et Françaises à convaincre de s’engager pour leur pays et de se rendre utile pour les autres, tout en s’épanouissant professionnellement. Le premier objectif de la campagne crée par l’agence de communication Insign, et déclinée sur tous les supports, était d’améliorer l’image de l’Armée de Terre, en tant qu’employeur et convaincre le plus grand nombre que l’armée de Terre est un employeur de référence et de préférence. Selon Emmanuel Dosseur, chef du bureau marketing et communication pour le recrutement, ces campagnes existent aussi pour se démarquer de la concurrence face aux entreprises qui recrutent massivement des jeunes sans expérience comme McDonald’s ou encore la SNCF pour ses conducteurs, mais aussi face à une partie de la fonction publique (police, gendarmerie…) et les autres branches de l’armée pour certains profils spécifiques. Pour cela, la campagne, « centrée sur la réalité du terrain », a utilisé des images authentiques, qui ne sont pas jouées, issues de tournages réalisés en immersion, dans les mêmes conditions qu’un reportage TV. La campagne mise sur le cœur de la réalité des opérations, sans sensationnalisme, ni registre publicitaire, et sur des mots qui marquent et rendent hommage à l’exigence du métier de soldat à travers ici les portraits de Jean et Marion. Ces portraits, comme les spots vidéos réalisés, évoquent l’aventure, l’exotisme, l’envie de se sentir utile, de trouver sa place. Les résultats témoignent d’une réussite : sur 15 000 recrues prévues c’est finalement 16000 personnes qui sont recrutées en 2016 !
Côté communication, cette campagne a obtenu 14 prix, dont le Grand Prix Stratégies de la publicité pour le site Internet et le Grand Prix de la communication des entreprises et des collectivités pour sa campagne de recrutement. L’initiative a également amené à une modernisation du site sengager.fr de l’Armée de Terre, de façon à le rendre beaucoup plus fonctionnel, et à faciliter le processus de recrutement, que ce soit par le site, ou le développement d’une application mobile.
Interview publiée en février 2020
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