La réalisation du portrait officiel du Président de la République est un moment phare du mandat présidentiel. Directeur de la communication du CNAM et auteur d’une thèse sur le sujet, Yvan Boude (@YBoude) revient sur les enjeux du portrait officiel du chef de l’Etat.

Dans le portrait officiel du président de la République, tout semble être symbole. Quand on l’analyse, à quoi faut-il faire attention ?

Yvan Boude (Y.B) : Comme pour toute image, il y a deux grandes façons de « lire » un portrait officiel. La première, est une lecture proche de la sémiologie. Elle s’intéresse avant tout à ce que le portrait donne à voir et s’attache à décrypter la composition de l’image, la pose du modèle et les symboles qui l’entourent, la mise en scène du pouvoir… Mais, il existe un second niveau de lecture qui, à mon avis et plus encore dans le cas d’un portrait politique, doit être complémentaire. C’est celle que Christian-Marc Bosseno définit comme une histoire « iconophile ». Il s’agit cette fois d’interroger les processus clés de l’existence d’une image qui courent de sa création aux modalités de sa réception, en passant par ses conditions de production et de diffusion.

Justement, quand apparaissent les premiers portraits officiels ?

(Y.B) : Si l’on fait abstraction du président de la République, les premiers portraits officiels apparaissent véritablement au tournant du XIXe siècle. Évidemment, il existait bien avant des mises en représentation du pouvoir, l’un des exemples les plus connus étant le célèbre portrait d’apparat de Louis XIV en costume de sacre peint par Hyacinthe Rigaud. Celui-ci propose en effet autant une vulgarisation de la personnalité physique du souverain (même si les jambes fines et musclées du roi évoquent plutôt celles d’un jeune garçon que celles d’un homme d’âge mûr…) qu’une figuration de son pouvoir, une dramatisation de son autorité. Mais, c’est véritablement avec la première Restauration que le portrait d’apparat devient un véritable portrait officiel en connaissant désormais une diffusion plus ou moins importante vers les lieux où s’exprime le pouvoir et où se prennent les décisions. La France rentre alors dans une période de grande instabilité, marquée par de brusques changements politiques, qui exigent non seulement de briser les symboles et les attaches émotionnelles du précédent régime mais aussi d’en proposer de nouveaux.

Et pour les premiers portraits des Présidents ?

(Y.B) : En 1870, on frappera ainsi les premières pièces de monnaie à l’effigie de Marianne seulement trois jours après la proclamation de la République puis on (ré)éditera très rapidement les premiers timbres à la Cérès. La République se montrera en revanche beaucoup plus réservée en ce qui concerne le portrait officiel du président de la République. Ainsi, il n’existe pas d’effigie présidentielle à proprement parlé pour Adolphe Thiers et Patrice de Mac-Mahon. Il faut se souvenir que ces deux présidents occupaient une position singulière dans une République naissante où l’Assemblée, à majorité monarchiste, attendait surtout le couronnement du comte de Chambord. Le portrait officiel du président de la République, c’est-à-dire un portrait créé pour être diffusé par une administration puis affiché dans des lieux publics, apparaît donc progressivement entre les années 1874 et 1884 autour de trois événements fondamentaux : l’adoption des lois constitutionnelles qui affirment définitivement le caractère républicain des institutions et définissent la fonction présidentielle ; la «révolution des mairies » et l’élection de conseils municipaux à majorité républicaine ; la promulgation de la loi de 1884 obligeant les communes à se doter d’une salle devant accueillir les délibérations du Conseil municipal.

Pourquoi cette apparition est progressive ?

(Y.B) : Car, même si aujourd’hui le décor municipal est très souvent composé d’un côté d’un buste de Marianne et de l’autre du portrait officiel du président de la République en exercice, la Troisième République n’a jamais souhaité imposer de manière autoritaire ce décorum. Il n’existe en effet à cette époque aucun dispositif d’allocation systématique ni de l’effigie présidentielle ni de l’allégorie républicaine auprès des bâtiments publics. L’apparition du portrait officiel se fait donc progressivement à partir de Jules Grévy car elle sera principalement conditionnée à la demande des municipalités. Ce sont en effet les conseils municipaux qui devaient commander, avec l’aval du préfet, directement leur exemplaire auprès du ministère des Beaux-arts. L’arrivée d’un portrait officiel sera ainsi plus souvent liée à un événement purement local comme la construction d’un nouvel hôtel de ville ou la victoire d’une majorité municipale acquise au gouvernement républicain.

Ce n’est qu’au début de la Quatrième République que sera mis en place un dispositif d’allocation systématique, d’abord contre remboursement du prix d’achat puis à titre gracieux. Cette formalisation tardive d’un usage républicain peut apparaître aujourd’hui curieuse à première vue mais il s’agissait par ce biais de remplacer les effigies du maréchal Pétain comme celles du général de Gaulle qui peuplaient encore les murs de nombreuses municipalités, objectif que l’administration ne souhaitait pas laisser à la seule initiative des conseils municipaux. Aujourd’hui, cette tradition est largement institutionnalisée, puisque c’est la Documentation française qui est chargée de la diffusion de l’ensemble des portraits des présidents de la République.

Vous parlez de tradition républicaine… L’affichage n’est donc pas obligatoire ?

(Y.B) : Non et il ne l’a jamais été ! Comme n’ont jamais été imposées ni la présence du buste de Marianne dans la salle des conseils ou des mariages ni celle de la devise «liberté, égalité, fraternité » sur le fronton de l’hôtel de ville. Là encore, et comme pour la mise en place d’un dispositif d’allocation systématique, la Troisième République a été très frileuse et n’a jamais institutionnalisé ou encadré officiellement cette pratique. D’une part, parce que s’inspirant des principes imaginés en 1792 et 1848, elle abandonne la figure du chef au profit d’une représentation symbolique : l’individu, le président de la République, s’efface devant une figure abstraite et impersonnelle, Marianne. D’autre part, et même si cela peut nous paraître curieux aujourd’hui, parce que le portrait officiel du président de la République a été au centre de nombreuses controverses jusqu’au début du XXe siècle. L’une des mieux documentée éclata en 1888 lorsque le maire d’Auxerre afficha le portrait du Président Sadi-Carnot attribué peu de temps avant par l’administration des Beaux-arts. Un vif incident opposa alors les membres du Conseil municipal : est-il possible de représenter le régime républicain par le portrait d’un homme ? Il faudra deux tours de scrutins pour qu’une courte majorité (12 voix contre 10) se dessine et que le portrait soit maintenu dans la salle du Conseil.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

(Y.B) : De nos jours, cette tradition républicaine est largement inscrite dans les pratiques ce qui n’empêche pas l’apparition périodique de velléité de mettre en place des modalités d’encadrement beaucoup plus coercitives. Marc Dolez, député socialiste du Nord, demandait ainsi en 1992 au gouvernement de « bien vouloir lui indiquer les mesures qu’il compte prendre pour que la tradition républicaine soit respectée ». De son côté, Bruno Bourg-Broc, député du Rassemblement pour la République de la Marne, encourageait en 1999 le ministre de l’Intérieur à faire respecter la tradition républicaine qui « impose à la mairie d’accrocher le portrait du président dans la salle commune ».

Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en mai 2017


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