Interview de Vincent Lalire (@lalalalire), responsable de la communication interne du Département de la Seine-Maritime et chargé d’enseignement dans le Master 2 Communication politique et institutionnelle de l’Université Paris 1-Sorbonne.
Quels sont pour vous les objectifs de communication interne d’un Département ?
Vincent Lalire (VL) : Les enjeux sont considérables au regard-même du nombre de personnes auquel nous devons nous adresser. Je rappelle que le Département de la Seine-Maritime compte 5 500 agents ! A titre de comparaison, c’est cinq fois plus que l’effectif national de la Française des Jeux, deux fois plus que celui de Coca-Cola France et autant de salariés que le groupe Jardiland ou Canal+. Avec cette difficulté supplémentaire que nous avons une immense hétérogénéité de métiers et de statuts. Nous devons communiquer simultanément en direction de puéricultrices, d’agents de routes, de marins, de travailleurs sociaux, de conservateurs de musées, de cuisiniers, d’assistants familiaux, de juristes, de techniciens des collèges et de cadres divers. Autant d’hommes et de femmes concentrés sur leurs missions respectives et qui n’ont peut-être pas d’emblée le sentiment de former une même entité. Le premier objectif de la communication interne consiste précisément à remettre ces missions hétéroclites dans leur cohérence d’ensemble. Tous les agents participent à un même projet d’administration.
En quoi justement la communication interne d’une collectivité locale se distingue-t-elle de celle d’une entreprise ?
(VL) : Les salariés du privé produisent de la richesse marchande et génèrent du profit. Les agents territoriaux produisent du service public et génèrent de l’intérêt général. C‘est une différence fondamentale même si les deux sont aussi respectables. Nos objectifs de communication interne sont triples. Nous devons d’abord faciliter le partage d’expériences et la reconnaissance mutuelle des tâches de chacun, c’est la fameuse transversalité. Nous devons ensuite donner du sens : cela consiste à resituer chacune des actions et chacun des changements internes dans le cadre du projet politique porté par la majorité issue du suffrage universel. C’est enfin donner la bonne information au bon moment, faire connaître les règles de vie commune de la collectivité et associer les agents aux évolutions. Pour cela, nous devons avoir les bons outils, être à l’écoute du terrain, faire remonter les initiatives, animer l’institution pour renforcer le sentiment d’appartenance de chacun. Bref assurer une cohésion. Le service public est naturellement protecteur de ses agents, c’est à son honneur. Il n’y règne ni la loi du plus fort, ni la loi du marché. En matière de communication interne et donc humaine, ça facilite les choses !
Quels sont les thèmes de communication interne actuels dans votre Département ? Avez-vous accompagné les agents dans les changements récents ?
(VL) : Les différentes réformes territoriales (Loi NOTRe, Loi Maptam) ont sacrément bousculé les habitudes des Départements. Nos compétences évoluent : certaines disparaissent, d’autres sont renforcées. Le transfert vers la Métropole rouennaise d’une partie des routes et des musées ou le transfert vers la Région Normandie des transports interurbains ont impliqué le transfert des personnels. Il a fallu expliquer cela, rencontrer les agents et bien-sûr adapter notre organisation à ces changements. Mais l’institution départementale est bien debout. Elle est aujourd’hui la garante des solidarités sur tout le territoire, entre les habitants bien-sûr mais aussi entre les communes. La solidarité, c’est l’ADN du Département, en matière d’éducation, de santé, d’équipement, de culture. C’est un aspect incontestable de fierté interne. A nous de valoriser cette dimension. Par ailleurs, nous devons accompagner la dématérialisation qui bouscule de nombreuses habitudes de travail. Enfin, il existe de nombreux défis à relever en matière de santé professionnelle : combattre les addictions, prévenir les troubles psychosociaux et autres. Pour cela, la com’ interne est un service passerelle ou support pour d’autres directions. C’est passionnant.
Quelle est la place accordée à la communication interne au sein de votre Département ?
(VL) : Nous avons été rattachés récemment à la Direction des ressources humaines. Cela a du sens dans la mesure où l’une des principales attentes des agents départementaux était d’avoir davantage d’infos RH. En effet dans ce domaine, le moins qu’on puisse dire, c’est que ça bouge tout le temps : statut, rémunération, évolution de carrière, déontologie, réglementation, réformes diverses. Le législateur doit aimer les communicants internes ! Du point de vue organisationnel, à l’instar du directeur de cabinet pour la com’ externe, le Directeur général des services reste l’interlocuteur phare de la com’ interne. Il donne le tempo et il valide. A nous d’être force de propositions. Pour le Département de la Seine-Maritime, nous sommes une équipe de cinq agents, ce qui est plutôt bien : deux infographistes, une journaliste-photographe, un webmaster et un responsable. En revanche, nous ne disposons pas de budget propre. Cela peut freiner les initiatives. D’ailleurs, ici comme dans la plupart des collectivités françaises, la différence de moyens (matériels, financiers et humains) entre communication externe et la communication interne est importante. Il faut donc redoubler d’imagination, parfois bricoler mais les choses avancent.
Disposez-vous d’un magazine de communication interne ? Si oui quelles sont ses rubriques ? Ses spécificités ? Et son processus d’élaboration ?
(VL) : Comme beaucoup de grosses collectivités, le magazine interne reste encore l’outil majeur pour communiquer auprès des agents. Celui de la Seine-Maritime se nomme Echos76. Il compte 8 à 10 numéros par an, tire à 6.000 exemplaires et comprend 20 pages. Ses rubriques sont assez classiques. Nous abordons la vie des services, faisons le point sur l’actualité RH, annonçons les mouvements de personnel, dressons le portrait d’agents, réalisons des reportages sur le terrain, donnons une multitude d’infos pratiques… Pour une petite équipe, c’est un support très chronophage. Je milite d’ailleurs pour diminuer le print et faire entrer la communication interne davantage dans le digital et l’usage de nouveaux outils numériques.
A ce titre, disposez-vous également d’un intranet ? Si oui à quoi sert-il ? Quel est le processus de création des contenus ? Quelles sont les informations qui y sont valorisées ?
(VL) : Notre site intranet est essentiel pour héberger une multitude d’infos classées par pôles et retrouver facilement les documents utiles à chacun. C’est aussi la porte d’entrée incontournable pour l’utilisation des logiciels-métier et de nos procédures dématérialisées : poser ses congés, candidater à un poste interne, enregistrer ses frais de déplacements. Pour la communication interne en revanche, je dois le dire, ce site intranet est encore loin d’être idéal. Son ergonomie, ses fonctionnalités et son accessibilité sont très restrictives et l’ont cantonné dans un rôle très administratif. Or comment faire de la communication interne au XXI siècle sans faire de la photo, de l’audio, de la vidéo, sans proposer du live, du chat ou du sondage, sans utiliser Facebook, Instagram, Périscope ou Youtube ? La tendance majeure à venir pour la communication interne publique est d’abandonner ses oripeaux pour revêtir les vêtements neufs du monde qui l’entoure. D’être évidemment et impérativement accessible depuis un smartphone ! Sur nos 5 500 agents, un bon millier n’est pas devant un ordinateur ayant accès à l’intranet ! Il faut aussi pouvoir accéder à l’information chez soi. Bref la com’ interne doit être digitale, ouverte et interactive. Le nombre d’appel d’offres en cours pour la refonte des sites intranet des collectivités montre que ce sentiment est partagé.
Si vous pouviez citer quelques actions de communication interne dont vous êtes particulièrement fier, quelles seraient-elles ?
(VL) : A la fin du mois d’août, à l’initiative de notre Président Pascal Martin, nous avons invité tous les agents qui le souhaitaient, à venir pique-niquer à l’Abbaye de Jumièges et profiter de façon privilégiée, des expositions du festival Normandie Impressionniste. Convivialité ! En octobre, nous organiserons la première foire aux savoirs et au savoir-faire où les agents pourront échanger leur connaissance sur divers domaines. Partage ! En Novembre, nous décernerons le Prix des lecteurs des agents départementaux : plus de 70 d’entre eux ont postulé en mai pour figurer dans le jury qui récompensera le meilleur roman de la rentrée littéraire. Implication ! Jusqu’en mars 2017 enfin, nous lançons une grande campagne d’information et de prévention des troubles musculo-squelettiques. Il s’agit de la première cause de maladie professionnelle en France. Une plateforme dédiée permettra, à travers des vidéos, des animations personnalisées et des infographies, d’éviter les mauvaises postures, de connaître les bons gestes et de soulager certains symptômes. Sécurisation !
Quelles sont les erreurs à éviter en communication interne ?
(VL) : J’en vois trois. La première, c’est naturellement la verticalité. Une communication interne descendante – qui ne partirait que du haut de la hiérarchie pour aller vers la base – ne serait guère crédible. Bien-sûr, la com’ interne véhicule d’abord la parole de l’employeur. C’est légitime. Et les organisations syndicales sont présentes pour apporter leur point de vue et proposer des alternatives. Chacun est dans son rôle. Mais au-delà des représentants du personnels, il nous appartient de donner la parole aux agents, y compris parfois pour qu’ils expriment leurs idées d’amélioration du fonctionnement et de l’organisation. Mais c’est une culture qui prend du temps. La deuxième erreur serait de ne pas innover. Les codes de communication changent et il faut s’y adapter y compris en interne. La troisième erreur enfin, à mes yeux, c’est avoir l’obsession du circuit fermé ! Que rien ne filtre à l’extérieur et pour cela exiger des codes secrets à la James Bond pour consulter la moindre information interne. D’une part c’est utopique, d’autre part c’est contre-productif car ça bloque l’élan naturel de l’agent qui veut aller chercher de l’information. Et puis, au-delà de ce qui est confidentiel par définition, les citoyens auraient certainement aussi plus confiance dans leurs institutions s’ils prenaient toute la mesure du travail des agents du service public, de leur implication et de leur dévouement. Autrement dit, décloisonnons la com’ interne !
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en octobre 2016
Le lien vers l’interview de Vincent Lalire en format slideshare, partageable et téléchargeable > http://fr.slideshare.net/damienarnaud/ccf33lalire
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