Interview de Vanessa Ongmetana, communicante politique camerounaise, travaillant pour Michèle Ndoki et pour la Fondation Muna.

Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ? Quels devraient être les principes philosophiques qui guideront demain la communication politique ?

Vanessa Ongmetana (VO) : Les règles en matière de communication politique sont spécifiques aux contextes sociopolitiques, démographiques et culturels de chaque pays. En ce qui concerne le Cameroun, elle est aussi fortement influencée par la politique internationale.

Cependant bien que les règles de la communication politique soient spécifiques au pays, les bases de ces dernières sont les mêmes :

  • la bonne connaissance géographique, historique, culturelle et les défis politiques de la circonscription électorale du candidat.
  • avoir un message clair, facile à comprendre, à retenir et à répéter.
  • dans les pays d’Afrique, et particulièrement au Cameroun, les soutiens envers les candidats qu’ils soient financiers ou autres se font principalement par affinité régionale ou ethnique.

C’est pourquoi le communicant politique doit être capable de mener une campagne sur le long terme à moindres coûts. Cette réalité socio-politique et culturelle fait que les pays comme le Cameroun ne sont pas prêts à développer de nouveaux paradigmes philosophiques, la mise en œuvre de ceux déjà existants est encore embryonnaire.

L’historien Christian Delporte estime que certains communicants politiques se comportent comme des « marionnettistes ». Ils façonneraient le discours de la personnalité politique et la réduiraient à une voix. Qu’en pensez-vous ?

(VO) : Selon Christian Delporte, la communication politique est un jeu à trois consenti entre les hommes politiques, les médias et l’opinion publique. En nous inspirant de cette idée de base le communicant politique a trois parties prenantes influentes à gérer et qui d’une certaine manière sont liées entres-elles.

Dans ce cas précis, le rôle du communicant est de s’assurer que chacune des entités mentionnées précédemment et impératives à la victoire n’interviennent qu’en temps opportun et selon un timing minutieusement établi. Il a l’obligation de s’assurer à l’avance de ce qui va être dit, publié et entendu, de s’assurer que la perception voulue reflétera la perception obtenue. Il doit trouver l’équilibre entre l’authenticité de ces parties prenantes principales et leur image. Il doit être capable d’anticiper sur d’éventuels imprévus et de corriger les bourdes.

Pour mener à bien cette mission il doit être capable d’avoir un minimum de contrôle sur les événements mais surtout le discours politique et tous ceux qui participent au gain des votes ou des voix : l’homme politique, les médias, et l’opinion publique.

« On élit un homme, pas un programme » (Jacque HINTZY ancien responsable du visuel des campagnes de Valéry Giscard d’Estaing). Pour être élu, une personnalité politique a-t-elle encore besoin d’un programme ou un bon storytelling est-il suffisant ?

(VO) : Le storytelling est une méthode de propagande qui permet aux leaders politiques ou aux candidats à une élection de maîtriser leur image et de contrôler l’opinion publique.

Il a plus d’effet sur les campagnes qui font intervenir la vue car il repose entièrement sur un scénario défini à l’avance. Cependant, il a très peu d’effet sur la partie de l’opinion publique qui n’est pas ou très peu portée sur le visuel.

L’un des exemples le plus parlant c’est la campagne électorale américaine de 1961 de J. Kennedy et Nixon. Après le débat entre les deux hommes, les sondages montraient clairement que Kennedy était en hausse auprès de ceux qui suivaient le débat et la campagne à la télévision et Nixon était en hausse auprès de ceux qui suivaient le débat et la campagne à la radio. Simplement parce que ceux qui regardaient la campagne à la télé se sont basés sur une analyse subjective : leur présentation à l’écran, le storytelling développé autour de chacun. Ceux qui écoutaient la radio se sont focalisés sur les différents programmes, ils étaient beaucoup plus axés sur une analyse objective, la vison des candidats, les propositions concrètes…

Du fait des canaux de communication visuelle de plus en plus développés et de l’extrême vulgarisation des réseaux sociaux, l’opinion publique et les leaders politiques ont tendance à donner plus d’importance aux propagandes, aux mises en scène, à la théâtralisation de la politique plus qu’aux propositions concrètes.

« Ne méprisez pas les mots qui ont fait leurs preuves comme étonnant, nouveau, maintenant, tout à coup » (David Ogilvy). Cette citation, valable pour le secteur de la publicité, a-t-elle vraiment un sens en communication politique ?

(VO) :  L’un des objectifs pour les leaders politiques c’est de gagner la confiance de l’opinion publique. Pour cela, le choix du message est essentiel. Il doit à la fois être rassurant et refléter la personnalité du leader.

L’opinion publique veut des dirigeants charismatiques, qui semblent décidés et qui ont la capacité de changer leur quotidien. Elle veut avoir l’impression que les choses avanceront forcément avec ce leader. Pour cela, elle scrute les messages, les slogans.

Il faut intégrer dans l’élaboration du message ou du slogan que l’opinion publique est très exigeante et impatiente, cette impatience pousse le communicant politique à faire le choix des termes cités par David Ogilvy.

Les sondages montrent que ces mots ont tendance à sécuriser l’opinion publique et à la conforter dans l’idée que le leader politique apportera un changement immédiat une fois au pouvoir. De plus, le caractère inclusif de ces mots aide l’opinion publique à croire encore plus au leader politique.

Le communicant politique pour attirer l’attention et avoir les votes ou la sympathie se retrouve souvent à vendre le leader politique avec les stratégies utilisées par les publicitaires pour vendre un produit.

Dans votre pays, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? si oui comment définissez-vous chacun des termes ?

(VO) :  Au Cameroun, le pouvoir est détenu depuis plus de 37 ans par la même personne. Le peuple n’avait jamais pu faire la distinction entre communication publique et communication politique. Mais depuis les dernières élections présidentielles de 2018 une distinction à commencer à être faite grâce aux campagnes menées par les différents candidats à cette élection.

Au Cameroun, la communication publique consistait à présenter et à vendre l’action gouvernementale… bien qu’elle reste encore confondue avec la communication politique car les actions gouvernementales et le matériel de service public (chaines de télévisions et de radio publique, moyen de transport, la justice…) sont utilisés pour les jeux politiques du parti au pouvoir dans les différentes circonscriptions électorales.

Pour ce qui est de la communication politique au Cameroun, elle est assez traditionnelle et utilise les vecteurs communs et peu coûteux tels que les débats politiques, les réunions politiques, les colonnes politiques dans la presse, à la télévision et à la radio.

En outre, la plupart des leaders politiques communiquent de plus en plus sur des sites web personnalisés mais aussi et surtout sur les différents réseaux sociaux.

Cependant la communication politique est en évolution. Des lobbys politiques commencent à se créer et à se développer, les hommes d’affaires et les opérateurs économiques commençant à comprendre et à réaliser l’importance qu’ils ont dans le jeu politique.

Les femmes politiques communiquent-elles de la même façon que les hommes politiques ? quelles sont les grandes différences ? les hommes politiques devraient-ils prendre exemple sur les femmes ?

(VO) : Les bases de la communication et tout simplement du jeu politique sont les mêmes aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Cependant le style de communication de chacun des genres varie en fonction de la personnalité et de leurs dispositions naturelles.

Lors des meetings, des rencontres populaires, des débats politiques… les femmes politiques ont un avantage sur les hommes. Elles sont plus tendres, patientes, douces et plus à l’écoute.

Pourtant, elles sont sur la défensive lorsqu’il s’agit de mettre en scène leurs familles ou de se mettre en scène sur les affiches officielles. Cela est très souvent dû au faut qu’étant dans une sphère dominée par les hommes elles ne souhaitent pas laisser transparaître une quelconque fragilité ou vulnérabilité.

Dans la culture africaine, la femme est jugée à l’aune de son époux. Elle ne doit sa réussite qu’à son mari. Toute sa vie doit tourner autour de son mari et de ses enfants. Il est donc d’autant plus difficile pour une femme politique de faire soit-même ses preuves.

Interview publiée en octobre 2019

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