Interview de Maylis Lavau Malfroy, ancienne Porte-parole, chargée de communication et des relations presse de Nouvelle Donne et aujourd’hui Chargée de communication pour le Parti Socialiste.

Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Etes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?

Je ne suis pas d’accord sur cette analyse. La communication politique est un outil à disposition des hommes et des femmes politiques. Tant qu’il y aura de la politique, il y aura de la communication politique. En revanche ce qui est en crise, c’est la représentation qu’on s’en fait : par défiance des « élites » ou par défiance des dirigeants, la communication politique est vue comme une arme de propagande massive. Je pense qu’une des choses qui nuit le plus à cette communication, c’est son aspect « sectaire ». Le politique doit apprendre à parler de nouveau avec le citoyen, et c’est aussi le cas du communicant. Il faut montrer aux citoyens que ce métier n’est pas nécessairement un métier de l’ombre ou « d’éminence grise », qu’il ne sert pas que les intérêts du politique, mais aussi celui du citoyen : c’est à nous de démocratiser notre métier, d’en montrer les coulisses et d’expliquer l’intérêt de cette forme de communication.

Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?

Si l’on décide de rester dans la société du spectacle, alors oui. Mais je ne crois pas que cela fonctionnera très longtemps. Avec l’émergence d’internet, de nouvelles formes de communication multilatérales s’ouvrent tandis que les citoyens demandent plus d’horizontalité avec leurs élus. C’est un tournant essentiel à prendre : utiliser les nouvelles technologies et les nouveaux modes de consommation médiatique pour rétablir le lien entre le citoyen et son représentant. Il faut pouvoir parler des choses honnêtement, expliquer les tenants et les aboutissants d’une situation et le choix qui a été fait par le politique. Il faut aussi, à mon sens, être plus à l’écoute des demandes des citoyens, et arrêter de croire que le rôle de l’élu est d’avoir lui-même des idées sans avoir besoin de consulter la société civile. Il ne faut pas dire ce que les citoyens veulent entendre, mais entendre ce que les citoyens ont à dire.

Qu’est-ce qu’un bon discours politique ?

Un bon discours politique, c’est d’abord un discours que l’on comprend. Souvent, je remarque des hommes et des femmes politiques qui veulent impressionner par leur maniement du verbe : si cela est beau et salué par les intellectuels, ce n’en fait pas forcément un bon discours. Mais un discours compréhensible, ça ne veut pas dire qu’il faut prendre les gens pour des imbéciles. Au contraire, l’effort qu’ils font pour arriver à ce discours est déjà une forme de curiosité qu’il faut saluer. En revanche, il faut le démocratiser, le rendre intelligible de tous, que ce soit sur sa forme ou sur son fond. A trop techniciser le discours politique, on en perd son essence. Les gens veulent comprendre pour quoi ils votent, et ils veulent comprendre les objectifs de l’homme ou la femme politique qui leur parle , et si ils sont séduit par ce discours, ils veulent pouvoir en parler autour d’eux sans avoir à décortiquer chaque phrase.

Pourquoi d’après-vous les communicants politiques sont-ils si détestés ?

Je pense qu’ils cumulent deux maux parfois difficile à distinguer : la défiance de la politique et la défiance des élites. Il faut reconnaître qu’il existe dans ce métier une proximité évidente avec le politique, que ce soit sur le plan personnel, professionnel ou idéologique, et cette connivence appelle parfois les citoyens à mettre politiques et communicants dans le même panier. Bien souvent, le communicant politique est une personne diplômée, de grandes écoles avec un bac +5, qui possède un réseau important de personnes elles aussi importantes. Les gens se méfient de ce qu’ils ne voient pas, et le communicant est souvent l’essence même du collaborateur de l’ombre. On pense souvent qu’il a un pouvoir d’influence , et qu’il fait partie de cette « secte » de l’élite qui cache ses intérêts réels.

L’historien Christian Delporte estime que certains communicants politiques se comportent comme des « marionnettistes ». Ils façonneraient le discours de la personnalité politique et la réduiraient à une voix. Qu’en pensez-vous ?

Cela doit arriver avec certaines personnalités politiques, mais je ne pense pas que ce soit une généralité. Je dirais même que je ne pense pas que ce modèle soit viable : le rôle de communicant politique, au-delà de simplement transmettre l’information au citoyen, c’est de créer un univers autour du politique qui puisse être audible. Mais cet univers ne peut être viable que s’il correspond à la personnalité du politique. S’il est possible de tenir quelques mois, quelques années dans un rôle qui n’est pas soi-même, il n’est pas possible de jouer ce rôle très longtemps. C’est bien plus risqué et bien moins éthique que de se servir des qualités naturelles de la personnalité politique pour laquelle on travaille pour forger cette communication, avec laquelle il sera d’ailleurs bien plus à l’aise et bien plus performant que dans ce modèle de « marionnette ».

De quoi la communication politique a-t-elle besoin pour se régénérer ?

Sans hésitation, elle a besoin de plus de transparence et de plus de sincérité avec son public. Il faut arrêter de croire que la communication politique est un milieu que personne ne peut comprendre tout en cherchant à s’adresser au plus grand nombre. Il faut démystifier ce corps de métiers qui souvent à la base est motivé par des combats politiques sincères et une volonté de porter ces idées à la connaissance du plus grand nombre. Je comprends toutes ces personnes qui voient la communication politique d’un mauvais œil quand je vois l’attitude de certains – rares – communicants visibles dans la sphère médiatique. Cela va à mon sens de paire avec le besoin de renouveau démocratique auquel appellent un grand nombre de citoyens.

En quoi consiste le métier de communicant politique ?

J’ai envie de répondre qu’il faut retourner aux sources de la communication de manière générale : le métier de communicant, c’est faire en sorte que le message que l’on veut faire passer soit entendu, compris, et qu’il atteigne ceux à qui on veut s’adresser. Les communicants qui pensent que leur rôle de faire élire un candidat se trompent : cela, c’est le rôle du message politique, du programme, du candidat lui-même. En dehors de la communication électorale, le rôle du communicant est à mon sens de rendre compte de l’activité du politique pour qui il travaille, de son travail en tant qu’élu ou autre. Lorsque l’on sort de ce cadre, on tombe très facilement dans la sphère de la politique pure, et ce n’est pas la même chose.

Selon Frédéric Dosquet, « l’impact de la communication négative est réel sur l’opinion et s’avère électoralement rentable ». Cela se fait beaucoup aux Etats-Unis. Est-ce que vous pensez que cela va se développer en France ? Ne pensez-vous pas que cela dévalorise encore un peu plus la vie politique ?

Elle existe déjà en France, et c’est à mon sens une catastrophe. Il y a beaucoup de partis « anti » qui ne proposent pas de réelles solutions aux problèmes, si ce n’est de supprimer des mesures déjà existantes, sans réfléchir à de nouveaux concepts. Et parmi les partis « pour », beaucoup cachent en réalité un message « anti ». C’est notamment le cas de l’extrême droite et parfois de l’extrême gauche. Force est de constater que ce message fonctionne, mais il est extrêmement dangereux : s’il est pratique pour le communicant (et d’ailleurs à mon sens, prouve un certain manque de créativité), il est très dangereux pour la démocratie et la société car il résume la politique au « pour-contre », en polarisant le débat. Pendant ce temps, il n’y a plus de travail en commun sur des sujets qui pourtant pourraient faire l’unanimité ou presque, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la transition écologique.

En France, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? Si oui, comment définissez-vous chacun des termes ?

Je pense qu’elle est assez floue dans certains cas. Quand il s’agit de campagne électorale ou quand on travaille pour un parti politique, la distinction avec la sphère publique est claire. En revanche, lorsqu’on travaille dans une institution dirigée par un élu, ou parfois simplement quelqu’un qui est rattaché à la sphère politique, tout dépend de la communication que l’on souhaite appliquer. D’un point de vue éthique, je pense qu’il faut éviter les communications trop personnifiées dans la sphère publique : c’est parfois une demande de l’élu, mais c’est dans son intérêt d’éviter cette confusion. Si le message que l’on veut faire passer est que notre élu est un élu qui fait bien son travail, alors il faut se poser la question : « Est-ce que quelqu’un de l’opposition pourrait-être objectivement d’accord ? ». Si la réponse est non, c’est probablement que l’on est entré dans la sphère politique de la communication, et il faut alors se méfier en tant que communicant public.

Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?

Je ne pense pas que les réseaux sociaux extrémisent en soit les positions politiques, en revanche, ils permettent à des positions extrêmes d’accéder à un potentiel de communication qui était impensable avant internet. Des millions de personnes sont susceptibles d’entendre ces messages et par un biais communautaire, de les défendre. Un des vrais problèmes qui se posent aujourd’hui est celui des bulles créées par les réseaux sociaux : non seulement, on ne voit quasiment que des messages en accord avec nos idées ce qui nous empêche d’avoir un éventail large d’informations politiques, mais on s’en cache aussi le caractère « extrême ». Le phénomène des trolls est aussi un problème auquel il faut réfléchir : si l’expression populaire est essentielle, les trolls ont tendance à radicaliser le débat et à intégrer de la violence parfois extrême sur des espace d’expression publique, faisant perdre tout son sens au débat.

Pour l’ancienne sénatrice Joëlle Dusseau, un élu doit savoir refuser de s’exprimer sur un sujet dont il n’a pas tous les éléments d’appréciation. Êtes-vous d’accord avec elle ?

Oui, je suis partisane de cette position car je pense que répondre trop vite fausse souvent l’expression de l’élu. La pression médiatique demande des réponses de plus en plus vite avec de plus en plus d’insistance quand l’intérêt informationnel est pourtant très limité. Cela peut conduire à des erreurs qui peuvent avoir de lourdes conséquences, notamment dans le cas d’une condamnation d’un fait divers, de justice, de police ou d’un commentaire politique trop hâtif. Il faut savoir être ferme, et s’il est déconseillé de refuser de s’exprimer, il est cependant sage d’attendre d’être certain de ce qu’on veut dire.

Interview publiée en février 2021

Vous souhaitez vous aussi répondre à une interview écrite sur les mutations de la communication politique ? Suivez ce lien : https://cercledescommunicants.com/2019/07/21/interview-communication-politique/