Le 2 juillet 2016, Michel Rocard s’est éteint. Un an jour pour jour après sa mort, un de ses anciens proches collaborateurs évoque la communication politique de l’ancien Premier ministre.  Conseiller d’Etat honoraire, ancien président de la Commission Nationale du Débat Public, ancien élu local et régional, Pierre Zémor est un expert en communication publique et politique. Il a fondé, il y a plusieurs dizaines d’années, l’Association Communication publique dont il est encore aujourd’hui le Président d’honneur.

Comme il y avait un style De Gaulle, Mitterrand ou encore Pierre Mendès-France, existait-il d’après vous un style Rocard ?

Pierre Zémor (P.Z) : Difficile de dire quel était le style Mitterrand. En revanche, De Gaulle avait un style simple, direct, surtout naturel. Mendès-France, en profond démocrate, entendait établir un dialogue avec les citoyens en leur disant la vérité. Le style de Michel Rocard est de parler vrai pour convaincre. Son parler vrai débouche sur l’action. Sa vérité veut déjà inclure le compromis social. Il cherche un parler juste, qui serait issu du débat contradictoire. Et surtout, l’authenticité est un préalable : être en situation, au clair avec soi-même, dans son rôle, avoir quelque chose à transmettre.

J’ai forgé avec lui la formule : reconnaitre la complexité des choses et faire appel à la lucidité des gens. Sa communication tient compte du rôle des opinions. Il pense importante la qualité de la relation avec la société. Ce crédo a inspiré les batailles de la “deuxième gauche” et les exigences du respect rocardien de la démocratie. Parler vrai et convaincre sont indissociables.

Vous avez œuvré au côté de Michel Rocard, quels sont pour vous ses 3 grands moments de communication politique que nous devons garder en mémoire ?

(P.Z) : Un moment important est celui de la première rencontre de Michel Rocard avec l’opinion, à l’occasion de l’élection présidentielle de 1969. Après un modeste entrainement, qu’il accepte de bon gré, Michel Rocard choisit sa posture : l’offre populaire d’une rupture sage. Il y révèle son style dense, vif, animé, complet, trop riche en digressions pour la télévision, mais alors perçu comme honnête…

Le deuxième moment que je retiens est le 19 mars 1978. Au soir de l’échec législatif de la gauche, Rocard en a gros sur le cœur, et dans les différentes stations de radio où je l’accompagne ce soir-là, il dit tout simplement l’espoir que l’on sorte de la fatalité de l’échec. Les commentateurs s’empresseront de dire que de ce propos, à la fois de consolation et de mobilisation, est le résultat d’un entrainement audio-visuel. Ce qui est faux. Ce dimanche après-midi, il n’y avait aucun matériel vidéo au 220 boulevard Raspail. La courte note, que rédige Rocard lui-même, une douzaine de lignes, après avoir écouté nos quatre ou cinq envies de déclaration, reflète une manière simple de dire ce qu’il ressent. La force du propos est tout naturellement venue de cette évidente simplicité, n’en déplaise aux publicitaires et journalistes.

Enfin, je ne peux m’empêcher de repenser au 29 juin 1988 où Michel Rocard, premier ministre, fait à l’Assemblée Nationale une admirable déclaration de politique générale. Mais je peux citer, en contre exemple, l’appel de Conflans le 19 octobre 1980, où Rocard fait, avec une fausse conviction, une déclaration de candidature présidentielle dont je sais, avec mon groupe de travail habituel et Michèle Legendre Rocard, qu’elle ne peut être qu’éphémère, car Michel Rocard devra bientôt s’effacer devant François Mitterrand. Ce moment d’inauthenticité de l’homme du parler vrai ne sera pas bien analysé pour éclairer sa stratégie en 1994.

Comment Michel Rocard percevait-il les communicants politiques ? Et les journalistes ?

(P.Z) : Michel Rocard, comme moi-même, estimions que les véritables communicants politiques sont les acteurs eux-mêmes. Ce qui devrait laisser assez peu d’espace pour les professionnels, principalement issus de la publicité et du marketing, dans leur volonté de fabriquer un produit. Michel Rocard faisait la part des choses. Il appréciait surtout, durant les quinze années de ma responsabilité, avec une importante équipe et des groupes spécialisés, que le conseil en communication éclaire, lui et son entourage, sur les attentes de la société et sur l’évaluation des messages et des images.

Quant aux journalistes, d’autant plus que Michel Rocard considérait leur rôle comme essentiel pour la liberté d’expression et la démocratie, il regrettait, et parfois vivement, que, faute d’analyse des situations et des contenus, le souhait de transparence des médias vienne s’écraser contre le mur des apparences. Les modes de communication médiatiques conduisent à un déni de la complexité du politique et à un repli facile sur une com’ réductrice, spectaculaire et prédatrice de mémoire.

A l’époque où vous étiez chargé de conseiller Michel Rocard Premier ministre vous deviez travailler avec Jacques Pilhan, qui conseillait à la fois le Président Mitterrand et le Premier ministre. Comment s’est passée cette période ? Un homme politique doit-il se méfier du placement par un autre homme politique d’un conseiller communication au sein de son cabinet ?

(P.Z) : Les choses sont très simples. Nommé au Conseil d’État, j’ai dû prendre une distance avec le cabinet du Premier ministre auquel je n’ai appartenu que peu de temps. Mes contacts avec Michel Rocard étaient amicaux, espacés et discrets. J’étais en profond désaccord avec la participation de Jacques Pilhan, dont l’empathie était ailleurs, ce qui interdisait une réelle complicité. Cela n’a pas raté, les orientations stratégiques conseillés par Pilhan (conduite de la liste aux élections européennes, big bang et prise du contrôle du PS…), se sont avérées catastrophiques au point de barrer la route de la présidentielle à Rocard.

En matière de communication politique, voyez-vous dans la classe politique actuelle des personnes qui s’inscrivent dans les pas de Michel Rocard ?

(P.Z) : Il suffit de chercher des personnalités attentives à l’authenticité, à la prise en considération des autres et au dialogue avec les citoyens, et d’écarter ceux qui placent trop leurs espoirs dans une com’ limitée à la promotion et en fin de compte inapte à établir une relation durable avec la société. Il faut donc écarter la poudre aux yeux, les fausses vérités, les promesses infondées et la manipulation. Par les temps qui courent, se dire rocardien semble un atout, assez rare… Emmanuel Macron ? Peut-être…

Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en juillet 2017


Découvrez l’autre interview de Pierre Zémor sur les dérives de la communication politique > https://cercledescommunicants.com/2017/05/06/la-communication-politique-impose-ses-regles-a-la-politique/


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Crédits photo : WBCOM (Association qui réunit les communicants publics belges francophones)