Interview de Pierre Thoniel (@pthoniel), ancien directeur de la communication de plusieurs grandes collectivités locales (départements, région…), conseiller et plume du président d’une région et formateur pour Cap’Com qui est le réseau de la communication publique et territoriale.
Il y a quelques mois, vous avez animé une formation pour Cap’Com sur la réalisation du bilan de mi-mandat. Est-ce que le bilan de mi-mandat est une pratique généralisée pour les élus ? Le devrait-il ?
Pierre Thoniel (PT) : Le bilan de mi-mandat est une pratique qui s’est installée couramment dans l’agenda politique de tous les élus locaux. Cet exercice n’a rien d’obligatoire mais il s’est imposé sous la juste pression des citoyens de plus en plus avides, voire impatients qu’on leur rende compte de manière sincère et objective des avancées du programme de mandat et de la réalisation des promesses. La tendance lourde est aujourd’hui à la valorisation de bilan quasiment en temps continu, accompagnant par-là la forte progression des usages de la concertation et de la démocratie participative. Il n’est plus rare de voir des comptes rendus de mandat annuels.
Pour dépasser un exercice jusqu’à aujourd’hui assez convenu et vertical en termes de communication et relativement inefficace au plan politique, il est nécessaire aujourd’hui de faire de ce moment de bilan un temps d’évaluation de l’action publique et un temps de concertation, pour relancer un projet en phase avec la population sur la deuxième partie du mandat.
Quelles sont les bonnes questions à se poser avant de produire un bilan de mi-mandat ?
(PT) : La première bonne question est de savoir pourquoi on fait un bilan. Si c’est pour aligner une check-list et une hagiographie auto satisfaite du Maire et la distribuer dans les boites aux lettres, alors l’outil aura peu d’intérêt et peu d’efficacité. Si, au-delà de la com’, on en profite pour mener un vrai travail d’introspection et d’évaluation de la stratégie politique et du fonctionnement des services publics, avec en bonus la formalisation d’un projet de fin de mandat concerté avec les citoyens, alors l’impact public sera réel et la démocratie locale redynamisée.
Deuxième question, c’est le quoi : quel contenu valoriser et quel message donner. Il faudra retenir bien sûr les succès et les réalisations emblématiques, faire de la pédagogie sur les enjeux publics, la gestion et les services. Il faut aussi, en toute transparence, expliquer les échecs, les contraintes, les difficultés, et les mesures prises pour combler les écarts et corriger le tir. Tout contribuable est capable de comprendre ça. La sincérité et la pédagogie seront moins suspectes que de masquer les manques.
Existe-t-il des règles juridiques et/ou déontologiques qui encadrent la production du bilan de mi-mandat ?
(PT) : Il n’y a aucun cadre légal spécifique si ce n’est les règles de droit commun et d’éthique encadrant la communication politique et publique habituelle.
Toutefois si un des élus de la collectivité est candidat à la campagne des législatives prévues en juin ou des sénatoriales en septembre, alors il est contraint par les interdictions de la loi sur la communication préélectorale qui prohibe notamment les avantages en nature apportés par la collectivité.
Autre contrainte liée à l’exercice de la démocratie locale, conformément au droit d’expression de l’opposition, si le bilan de mi-mandat fait l’objet d’un dossier dans le magazine local, d’un numéro spécial ou d’un tiré à part, un espace doit être réservé à l’expression de l’opposition.
Que faut-il éviter sur le fond et sur la forme dans un bilan de mi-mandat ?
(PT) : Que ce soit une réunion publique, du print, un site web ou les réseaux sociaux, les contenus privilégieront sincérité, pédagogie, transparence et proximité. Il faut préférer le concret à l’abstrait, l’exemple au concept, mettre en valeur les enjeux publics, les bénéfices quotidiens de l’action publique, ce qui est utile.
Mieux vaut retenir quelques marqueurs forts, des investissements et des services emblématiques, quelques messages clés et éviter les successions d’actions et de chiffres qui rebuteront le lecteur. La partie budgétaire sera traitée soigneusement sans jargon pour donner à voir et à comprendre les principaux indicateurs de bonne gestion de votre collectivité. Un peu de pédagogie sur le coût des services et des équipements est utile à ce stade.
Les supports seront clairs, sobres, lisibles, compréhensibles par le plus grand nombre, synthétiques et dynamiques. Trop de bilans alignent encore la somme des réalisations en une écriture serrée sur 50 ou 60 pages.
Le temps court d’aujourd’hui ne plaide pas pour les encyclopédies, mais plutôt pour des produits éditorialisés, dynamiques, synthétiques et visuels. Parler aux yeux est primordial, donc rendez visible et vivant votre bilan : data-visualisation, infographies, illustrations, plans et photos, hors textes et verbatim, quelques chiffres clés, sont les bienvenus.
Pourriez-vous nous parler des bilans de mi-mandat que vous avez trouvés particulièrement innovants ?
(PT) : Les bilans accessibles aujourd’hui sont surtout ceux datant du précédent mandat. L’innovation n’est pas ce qui les caractérise, mais de bonnes idées sont à piocher dans tous les bilans réalisés. Le premier bilan annuel réalisé par le département de l’Aude en 2016 est classique mais dynamique, 12 pages rythmées en appui d’une vingtaine de réunions sur le terrain. https://issuu.com/departementdelaude11/docs/21×27-mag_special-avril_mai_2016-we
Certains font la part belle aux témoignages des habitants ou des élus, aux visuels et aux plans, d’autres insistent sur les coûts des services, mettent la priorité sur les valeurs ou le projet, des vidéos et des sites dédiés peuvent compléter le print parfois, on trouve de tout finalement dans ce domaine, y compris un bilan de mandat fictif réalisé comme outil de campagne électorale avant même l’élection du Maire à Grenoble.
Comment le bilan de mi-mandat est-il généralement diffusé ?
(PT) : Si on parle du support print traditionnel, le magazine, il épousera les modes de diffusion déjà pratiqué par la collectivité. La boite aux lettres, la distribution de la main à la main, la diffusion lors des manifestations, le dépôt en lieux publics etc. Si la communication est segmentée en fonction des publics, alors il faut adapter à chaque fois le mode de diffusion. En complément du journal, le bouche à oreille sur le terrain, au contact des habitants, lors de réunions publiques ou de manifestations, reste un des meilleurs modes de propagation.
La mise en œuvre d’un mix avec le web et les réseaux sociaux paraît nécessaire pour compléter le dispositif.
Qu’est-ce qui distingue un bilan de mi-mandat d’un bilan de fin de mandat ?
(PT) : L’absence d’enjeu électoral immédiat et des contraintes qui vont avec, d’abord. L’opposition fera son contre bilan bien sûr, mais le contexte sera moins compétitif qu’en période d’élection. Pas de vote sanction à craindre dans l’immédiat !
En fin de mandat, le reflexe propagandiste prend le pas pour ne valoriser que l’actif et masquer le passif, ce qui peut se comprendre. A mi-mandat, la sincérité et la transparence seront plutôt de mise. Le collectif et l’interactivité doivent être privilégiés. C’est le bon moment pour se synchroniser avec ses collaborateurs en interne et avec les habitants en externe, évaluer ensemble ce qui va ou ne va pas. En fin de mandat, il sera trop tard.
C’est aussi l’opportunité de concerter et pourquoi pas co-élaborer un projet renouvelé pour terminer le mandat et se projeter au-delà.
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenChantier) en septembre 2017
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