Zoom sur la communication publique locale avec Jérôme Savoye, Directeur de la communication et du marketing de la Ville de Menton.
Pour la Ville de Menton, quels sont les enjeux en matière de communication interne et de communication externe ? Y a-t-il des spécificités résultant du fait que Menton est une ville très touristique ?
Jérôme Savoye (JS) : Par sa situation géographique, cette ville française encordée à l’Italie et à la Principauté de Monaco, dont les collégiens et les lycéens étudient le Mentonnais jusqu’au baccalauréat, ne peut avoir une communication semblable à celles de ses autres consœurs hexagonales. Lorsqu’il s’agit de promouvoir son festival de musique ou sa traditionnelle fête du citron, le champ d’intervention porte autant sur l’Italie, Monaco que la France. Cela nécessite l’application de messages et de codes parfois bien différents.
Par ailleurs, notre communication est confrontée à une autre réalité : à chaque période de vacances et plus particulièrement l’été, la population locale passe de 30.000 à plus de 100.000 résidents. Là aussi, les messages ne sont plus les mêmes : les questions de stationnement, de propreté, de civisme prennent le pas sur la proximité, la vie locale ou encore l’urbanisme.
Estimez-vous que la communication d’une ville peut différer en fonction de la couleur politique du Maire ? Si oui, sur quels aspects ?
(JS) : Si nous nous bornons à juger la technique, la communication des collectivités ne diffère pas d’une couleur politique à l’autre. Pour généraliser, à droite comme à gauche, et désormais au centre, les réseaux sociaux prennent de plus en plus de place, le magazine municipal demeure le vaisseau amiral de toute communication et l’événementiel capte une partie de l’attention de tous.
En revanche, si nous nous penchons sur les enjeux, ceux-ci peuvent varier selon les chapelles. La culture, l’action sociale et la démocratie participative se taillent ainsi la part belle des campagnes de communication demandées par les exécutifs se positionnant à gauche. Quand, à droite, la sécurité ou le stationnement semblent davantage préoccuper nos édiles. Malgré tout, lorsqu’il s’agit de proximité, d’attractivité du territoire et même de développement économique, tous se retrouvent. Il en va de même pour l’environnement qui constituera sans nul doute l’angle d’attaque commun des prochaines élections municipales.
Certaines villes mélangent dans leurs supports de communication la communication publique et la communication politique. Qu’en pensez-vous ? Les deux doivent-ils être bien séparés ? Si oui, quelle est la ligne de séparation ?
(JS) : A la fin des années 1990, la communication locale s’est démarquée du politique. Les bulletins municipaux ont alors évolué, passant des « Mieux vivre à… », marqués par la présence systématique des élus et des verbatim graissés, à des magazines épousant ou même réinventant les codes de la presse dite indépendante. Entre des mises en page dynamiques et de véritables reportages, la place accordée aux élus a alors considérablement diminué. C’était l’ère du crypto-politique ou, plus simplement, du « comment vendre l’action municipale sans le montrer ». En bref, la communication publique prônait sans le dire la forme avant le fond.
Nous devions nous attendre à un retour de bâton, comme c’est aujourd’hui le cas avec l’omniprésence des réseaux sociaux qui ont politisé le moindre millimètre carré de l’expression municipale. Une chose est sûre, la communication publique doit être porteuse de sens politique. Tout en valorisant le territoire et en étant un service public à part entière, elle se doit d’expliquer l’action portée par les maires. Je ne sais si une ligne de séparation doit exister ; en revanche, il est certain qu’un équilibre entre les deux est nécessaire. Et trouver cet équilibre, c’est justement le job des communicants.
En matière de communication, comment s’articule votre travail avec celui du directeur de cabinet du Maire ?
(JS) : C’est avant tout une relation de confiance. Parce qu’ils sont soumis aux mêmes pressions, tous deux doivent s’épauler, trouver dans leurs différences des complémentarités. Si l’entente est bonne, les prérequis de chacun sont respectés et les conseils, apportés aux élus, avisés. Ce n’est pas par goût de l’étiquette que, généralement, les « dircoms » sont administrativement rattachés aux directeurs de cabinet… Et par ricochet aux maires.
Que met en place la ville de Menton afin de renforcer l’attractivité de son territoire ?
(JS) : L’attractivité est là. Notre fête du citron surpasse le carnaval de Nice, notre qualité de vie est reconnue par tous et les estivants comme les hivernants sont loin de déserter nos rues. Toutefois, les curseurs sont nettement dirigés vers l’environnement, la jeunesse et le patrimoine.
L’environnement, tout d’abord, en valorisant l’excellence de nos jardins et la variété de nos espaces paysagers. La jeunesse, ensuite, en multipliant les animations et en menant une véritable politique de soutien à l’emploi. Le patrimoine, enfin, en dirigeant d’importantes campagnes de rénovation de nos édifices historiques.
Pourriez-vous nous citer deux ou trois actions de communication interne et/ou externe mises en œuvre par la ville de Menton et dont vous êtes particulièrement fier ?
(JS) : Aux côtés de la Communauté de la riviera française et de l’Office de tourisme, nous sommes en train de jeter les bases d’une campagne de promotion de notre territoire. Celle-ci sera menée cet été et égrènera les « 10 bonnes raisons de venir nous voir ». J’en suis fier parce qu’elle réunit trois acteurs institutionnels et démontre tout l’intérêt des démarches communes.
Autres actions qui témoignent, à mon sens, d’un bon travail d’équipe : la sortie de guides d’information relatifs aux différentes missions rendues par les services municipaux, la vitalité de nos réseaux sociaux, le lancement d’une communication propre aux chantiers menés sur l’espace public… Et le succès de la dernière fête du citron. Nous avons revu notre stratégie médias, développé des moyens de diffusion plus massifs et intensifié notre présence sur les réseaux sociaux. Et cela a porté ses fruits !
Quelles sont les compétences nécessaires pour être directeur de la communication d’une ville ? Comment envisagez-vous les mutations de la communication des villes au cours des 10 prochaines années ?
(JS) : Un directeur de la communication, c’est avant tout un « couteau suisse ». Toujours en veille, il doit être cette force créative qui permet à telle ou telle entité de ne pas cheminer à contresens… Voire, même, d’avoir un coup d’avance.
J’ai pour habitude de dire que le communicant public est une sorte de psy : il prend le pouls, met à jour les pathologies et propose des solutions. Cela demande de l’écoute et une exigence de simplicité.
Quant à la communication municipale, entre la surexposition générée par les réseaux sociaux et la progression des « fake news », son avenir est loin d’être radieux. Habituée aux approches rationnelles, elle va devoir en découdre avec l’irrationnel, la viralité des informations et le « bashing » méthodique. Sa survie, à mon avis, reposera sur sa capacité à rassurer, à créer du sens et de l’envie.
Mais ne le cachons pas… La révolution industrielle a donné naissance aux clivages et aux fonctionnements politiques qui ont régné, sans discontinuer, depuis le début du 20e siècle. La révolution numérique est, elle aussi, en train de tout bouleverser et les règles à venir, nous ne les connaissons pas encore.
Interview publiée en avril 2019