Interview d’Houda Bachisse, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) réalisant une thèse sur la communication des partis politiques Québécois.

Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ? Quels devraient être les principes philosophiques qui guideront demain la communication politique ?

Houda Bachisse (HB) : Ce n’est une surprise pour personne si je dis que le marketing a perverti la communication politique, devenue aujourd’hui, un instrument dont disposent les acteurs politiques pour « courtiser » l’opinion surtout à l’approche des échéances électorales.

Si cette réalité valorise l’importance des mécanismes de structuration et de formalisation de la transmission de l’information, elle passe sous silence une composante essentielle de ce qu’est vraiment la communication politique : un processus dynamique et ouvert où les affrontements discursifs sont très importants (Wolton, 1989).

Celle qui serait porteuse d’un rapport au politique propice au grand projet de « vivre-ensemble ». Le « vivre-ensemble » dont on parle est celui qu’on retrouve dans le contrat social de Rousseau, dans le projet de société démocratique de Tocqueville, ou encore dans l’unité plurielle de l’humaine condition de Montaigne (Agbobli, 2009).

Ce vivre-ensemble qui se déploierait dans un rapport au politique où les opinions des citoyens ne constituent pas un élément dans le jeu stratégique des acteurs politiques, mais une condition fondamentale du fonctionnement de la communication politique. Une communication qui apparaîtrait comme un agir continu permettant aux individus de participer à la reconstruction du social (Stoiciu, 2009).

« Une campagne repose sur plusieurs piliers : il faut un candidat sachant faire campagne, un parti en ordre de marche et un projet ou du moins trois ou quatre mesures phares qui indiquent une direction » (François Mitterrand). Est-ce vraiment aussi facile que ça ? Y a-t-il des éléments qui manquent ?

(HB) : Partant des paroles de Rangeon (1991) qui disaient « est légitime le pouvoir qui communique avec succès les raisons de le croire tel » (p. 100), nous serons tentés de dire que la visibilité est un élément fondamental pour permettre de justifier le pouvoir, le manifester socialement et lui permettre d’exister.

La question qu’on poserait à ce niveau est la suivante : qui dispose « des rênes » de cette visibilité et donc de cette légitimité du pouvoir pour les partis politiques dans nos sociétés contemporaines ? Ce sont, entre autres, les médias. Dans cette mouture, les médias portent bien leur nom : les « étalons de la légitimité » (Wolton, 1995) qui détiennent les « rênes » de ce qui allait être légitime et par conséquent connu dans l’espace public. Tout ceci pour dire qu’il ne suffit pas d’avoir un bon candidat, un parti en ordre de marche et un projet porteur. Encore faut-il que tout cela soit visible.

Cette visibilité suppose une apparition « constante » dans l’espace public, une communication entre les détenteurs du pouvoir et leurs gouvernés, bref une mise en relation entre les partis politiques et leur public.

Pourquoi les citoyens sont-ils très critiques envers la communication politique ?

(HB) : L’une des définitions qu’on reconnait à la communication politique, est celle donnée par Wolton (2009) qui la présente comme étant « l’espace où s’échangent les discours contradictoires des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique ». Donc si les citoyens sont devenus critiques envers la communication politique, c’est parce qu’ils ont l’impression de ne pas être parties prenantes du processus démocratique de prise de décision. Un processus qu’ils considèrent comme opaque.

Ce n’est pas étonnant que Muxel (2007) parle d’une opacité du monde politique. Les citoyens et les élus politiques opèrent dans deux univers parallèles fermés l’un à l’autre où le dialogue, la compréhension et la considération mutuels semblent être devenus des denrées rares. Les politiques ne comprennent plus leurs électorats et ces derniers se sentent de plus en plus éloignés, voire déconsidérés par ceux-là mêmes qu’ils ont pu soutenir ou choisir à un moment ou à un autre.

L’évolution de la relation entre les médias et les personnalités politiques permet-elle d’expliquer certaines dérives de la communication politique ?

(HB) : Bien que le rôle qu’ont pu jouer les médias dans la montée du cynisme et dans les dérives de la communication politique ne fasse pas l’unanimité chez les chercheurs, il n’en demeure pas moins que plusieurs les considèrent comme une cause directe ou indirecte de la montée du cynisme populaire ou de ce que Quirion & Giasson (2011) appellent le « média malaise ». Ces derniers se concentreraient presque exclusivement sur ce qui ne fonctionne pas, occultant ainsi ce qui fonctionne bien.

Ces propos ont été nuancés par d’autres chercheurs comme Giasson et Nadeau (2003) qui affirment qu’il existerait, en effet, un écart grandissant entre un certain idéal de la couverture médiatique de la politique et les formes que prend celle-ci actuellement et que blâmer les médias de masse pourrait contribuer à refouler les vraies causes de la crise démocratique.

Dans votre pays, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? Si oui, comment définissez-vous chacun des termes ?

(HB) : Au Canada comme en France, distinguer la communication politique de la communication publique, n’est pas chose simple pour ne pas dire difficile.

Si les règles et les modalités d’exercice de la communication publique et politique sont différentes, il n’en demeure pas moins que les deux s’exercent dans la sphère du débat public. Elles sont interdépendantes et en perpétuelle interaction.

Afin de mettre en évidence cette différence, nous reprendrons les propos de Lavigne (2008) quand il considère la communication politique comme l’une des principales formes discursives de communication publique. Dans la majorité de ses travaux, ce dernier la présente comme le moyen stratégique et l’institution de la communication publique des dynamiques du pouvoir d’une société (2008, p. 233). Autrement dit, la communication publique est la mise en pratique du discours politique. C’est l’expression des institutions publiques non pas lorsqu’elles exercent le pouvoir public, mais lorsqu’elles tentent de le conquérir en l’argumentant.

Bibliographie :

  • Agbobli, C. (2009). Accommodements raisonnables, médias et communication. Dans Perraton, C. et Bonenfant, M. (2009). Vivre ensemble dans 1 espace public, Québec : Presses de l’Université du Québec. p. 121-137
  • Giasson, T. & Nadeau, R. (2003). Les médias et le malaise démocratique au Canada », Institut de recherche en politiques publiques, 9(1), 32 p.
  • Lavigne, A. (2008). Suggestion d’une modélisation de la communication publique : principales formes discursives et exemples de pratiques », Les Cahiers du journalisme, 18, p. 232-245.
  • Muxel, A. (2007). L’abstention : déficit démocratique ou vitalité politique ?» Pouvoirs, n° 120, p. 43 -55.
  • Quirion, M. & et Giasson, T. (2011). Le Parti Québécois et le marketing de la confiance, communication présentée dans le cadre du Congrès de l’Association canadienne de science politique, Waterloo. Récupéré le 03 avril 2013 de https://www.cpsa-acsp.ca/papers-2011/Quirion-Giasson.pdf
  • Rangeon, F. (1991). Communication politique et légitimité. La communication politique, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP). Paris, PUF, 1991, p. 99-114.
  • Stoiciu, G. (2009). Modèles de gestion du pluralisme : grandeurs et misères. Dans C. et M. Bonenfant (dir.) (2009). Vivre ensemble dans l’espace public, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. Cahiers du gerse.
  • Wolton D. (1995). Les contradictions de la communication politique”, Hermès, n°17-18, Communication et politique, p. 107-124.
  • Wolton, D. (1989). La communication politique : construction d’un modèle. Hermès, 4, p.27-42.

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