Interview de Bakari Guèye, journaliste en Mauritanie, rédacteur en chef à Nouakchott Info. Il s’agit de son opinion personnelle, laquelle n’engage pas le Cercle des Communicants et des Journalistes Francophones.

Pour vous, à quoi servent les médias ?

Bakari Guèye (BG) : Le rôle des médias n’est plus à démontrer ; ils peuvent être des vecteurs de développement s’ils sont soutenus et bien encadrés, ce qui malheureusement n’est pas souvent le cas dans la plupart de nos pays.

En effet, grâce aux médias, les citoyens sont informés de ce qui se passe chez eux et avec la liberté d’expression et la liberté de ton, les médias mettent en exergue tous les problèmes. Les sujets traités sont variés. Les médias font ainsi figure de moyens d’expression et de communication qui permettent l’accès à l’information. Les médias jouent également un rôle d’éveil et de conscientisation et contribuent de ce fait à la formation du citoyen.

Faites-vous une différence entre journaliste et communicant ? Si oui, laquelle ?

(BG) :  Le journaliste est quelqu’un qui est au service d’un public qu’il se donne pour mission d’informer objectivement en respectant les règles éthiques et déontologiques.

Il s’agit de produire des informations avérées et vérifiées. De ce fait, le journaliste doit être un bon communicant, c’est-à-dire une personne digne de confiance capable de susciter l’intérêt de son public. En effet, le communicant doit être doté de grandes capacités d’écoute et doit pouvoir établir facilement un dialogue avec ses interlocuteurs.

Donc je dirai que le journaliste et le communicant sont complémentaires, voire même se confondent. Il s’agit en fait des deux face d’une même médaille.

Quels sont les grands médias écrits et audiovisuels dans votre pays ? A qui appartiennent-ils ? Quelle est leur ligne éditoriale ?

(BG) : En Mauritanie, il existe des journaux écrits en langue arabe qui est la langue officielle du pays et des journaux en langue française. Aujourd’hui, la plupart des journaux de la presse écrite ont mis la clef sous le paillasson.

Seuls les plus téméraires tentent de survivre avec des parutions très irrégulières. Parmi ceux-ci il convient de citer les quotidiens Nouakchott Info, l’Authentique et le Rénovateur. Ces trois journaux se sont finalement d’ailleurs mués en sites électroniques. Donc à l’heure actuelle, il n’y a pratiquement plus de journal papier qui parait en Mauritanie, mis à part quelques titres sans grande envergure de la presse arabophone.

Les trois journaux susmentionnés ont des lignes éditoriales variées. Le premier est jugé proche du pouvoir et les deux autres sont plutôt classés dans le camp de l’opposition, avec une liberté de ton plus aiguë. Ainsi, la presse privée née au début des années 1990 a fini par creuser sa tombe. Aujourd’hui, la presse écrite a été supplantée par la presse électronique qui comprend un conglomérat de sites aussi farfelus et aussi peu crédibles les uns que les autres ; cette presse fait face à un manque cruel de journalistes ou de personnels qualifiés et les règles les plus élémentaires de la profession sont foulées au pied.

S’agissant des médias audiovisuels, la situation n’est guère plus reluisante. Sur les dix chaines de radios et de télévisions privées ayant obtenu des licences entre 2011 et 2013, il n’y a que deux radios (Radio Nouakchott et Radio Kobeni) et 3 télévisions (Al Wataniya, Chinguiti et Sahel Tv) qui continuent encore leur bonhomme de chemin avec des difficultés énormes. Ces médias audiovisuels appartiennent tous à des proches du pouvoir et cela apparaît dans leur ligne éditoriale.

Quelles sont les difficultés d’exercice du métier de journaliste dans votre pays ?

(BG) : En Mauritanie, il existe une liberté de la presse que nous jugeons acceptable, voire même satisfaisante. Et ce n’est pas un hasard si depuis quelques années, la Mauritanie caracole en tête du classement annuel de Reporters Sans Frontières (RSF) au niveau du monde arabe.

L’arsenal juridique est satisfaisant et il y a même une loi qui dépénalise les délits de presse.

Mais là où le bas blesse, c’est la faiblesse des institutions de presse, le problème d’accès aux sources, le manque de ressources humaines et de formation.

Quels sont pour vous les 3 plus grands journalistes de votre pays ? Pourquoi ? Quels sont les journalistes de votre pays qui sont pour vous des modèles ?

(BG) : Il n’est pas aisé de faire un classement des journalistes mauritaniens dont la plupart se sont formés sur le tas. Beaucoup d’entre eux et les plus brillants sont des enseignants de formation.

Parmi les plus connus, je citerais feu Habib Ould Mahfoud, fondateur du journal Al Bayane. Professeur de français de formation, il fait partie des pionniers de la presse indépendante et il a marqué la presse mauritanienne par sa plume superbe et son sens élevé de l’humour. Sa fameuse chronique « les Mauritanides » a franchi les frontières du pays.

Il y a également Isselmou Ould Salihi, directeur du journal Tahalil et ex Rédacteur en chef de Nouakchott Info, premier quotidien du pays qui a eu un grand succès.

Le troisième, c’est Cheikh Haidara, Rédacteur en chef du journal l’Authentique. C’est l’un des journalistes les plus sérieux. Il est connu pour ses papiers et autres reportages d’une qualité rare.

Personnellement, le journaliste qui constitue un modèle pour moi, c’est feu Habib Ould Mahfoud, un ami personnel que j’ai eu le privilège de côtoyer.

Que faudrait-il faire selon vous pour améliorer le journalisme dans votre pays ?

(BG) : En Mauritanie, la presse se trouve dans une mauvaise passe. Il serait donc urgent d’étudier les propositions appropriées pour une sortie de crise. Je pense qu’il va falloir tout d’abord une volonté politique réelle ; cette volonté politique est la condition sine qua none d’un redressement salvateur.

Ainsi la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel (HAPA) qui demeure jusque là une coquille vide doit enfin jouer son rôle de gendarme et de régulateur de la presse en exigeant des institutions de presse, aussi bien publique que privées, un respect scrupuleux des cahiers de charge.

Il est également impératif d’accorder plus d’intérêt à la formation des journalistes et de trouver une solution afin d’assurer la relève au niveau de la presse francophone qui se meurt, faute de ressources humaines valables.

Interview publiée en octobre 2019

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