La série sur le journalisme dans l’espace francophone se poursuit… Après des interviews sur le Togo, la Côte d’Ivoire, le Bénin, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Congo Brazzaville, découvrez celle de la journaliste congolaise Ange Makadi Ngoy sur le journalisme en République Démocratique du Congo (RDC). Il s’agit de son opinion personnelle, laquelle n’engage pas le Cercle des Communicants et des Journalistes Francophones.
Pour vous, à quoi servent les médias ?
Ange Makadi Ngoy (AMN) : Les médias servent principalement à véhiculer des informations vers un grand nombre. Ils aident aussi les citoyens à se forger une opinion. Ils donnent également la parole au public et offrent la possibilité aux citoyens de juger leurs autorités. Pour finir, les médias servent à divertir par la musique, l’humour etc.
Faites-vous une différence entre journaliste et communicant ? Si oui, laquelle ?
(AMN) : Il y a une différence entre journaliste et communicant. Un journaliste utilise bien évidemment différents outils de communication pour informer le public après avoir collecté des informations et traité ces informations pour diffusion. Il travaille au nom de l’intérêt public. Il est soumis au code d’éthique et de déontologie qui résume ses devoirs et droits. Un communicant, au contraire, travaille au service d’une personnalité ou d’une marque. Il en fait sa promotion contre vent et marée.
Quels sont les grands médias ?
(AMN) : On peut citer la Radiotélévision Nationale (RTNC), média qui appartient à l’Etat congolais. Ensuite Actualité.cd (media en ligne) appartenant au journaliste et correspondant de Radio France Internationale Patient Ligodi. Et la Radio Top Congo qui appartient à un journaliste Christian Lusakweno.
Quels sont les difficultés de l’exercice du métier des journalistes dans votre pays ?
(AMN) : En RDC, les journalistes évoluent dans un environnement assez difficile et compliqué. Difficile puisque il n’y a pas une loi d’accès à l’information. Un projet de loi a bien été élaboré en 2015 mais il n’est pas encore passé au parlement. Il y a donc des reportages ou des interviews que nous ne pouvons pas réaliser parce que l’accès aux données est impossible.
Ensuite, il y a la méfiance entre les médias et la population. Les journalistes sont traités comme des arnaqueurs qui ne serviraient que leurs intérêts et qui prendraient la population pour des marchepieds. Cette méfiance est justifiée par la mise au jour de certaines mauvaises pratiques (reportage réalisé mais non diffusé…). La population est également méfiante tout simplement car elle ignore le rôle de la presse et le travail des journalistes.
Il y a aussi le non rémunération des journalistes engagés dans certains médias. La plupart des journalistes n’ont pas de contrat de travail. Certains journalistes vivent grâce à l’argent de leur source d’information, c’est ce que l’on appelle le « coupage ». Au lieu de chercher des bonnes ou les meilleures informations pour le public, les journalistes sont prêts à dénaturer une information ou à la grossir ou à privilégier l’angle qui encense sa source. Les journalistes deviennent ainsi des chasseurs d’argent. Cela altère beaucoup la pratique du métier.
L’appartenance à des médias de presse pro-pouvoir ou à des médias proches de l’opposition est un élément important. Il y a deux blocs qui se font face. Les journalistes sont parfois instrumentalisés par les politiques pour régler des comptes entre eux.
Le rapport entre les journalistes et les forces de l’ordre est aussi parfois difficile. Par exemple, il arrive que le matériel des journalistes soit confisqué ou détruit.
Quels sont pour vous les 3 plus grands journalistes de votre pays ? Pourquoi ? Quels sont les journalistes de votre pays qui sont pour vous des modèles ?
(AMN) : La presse congolaise, c’est aussi des noms et des références. Je peux citer Kikambi Shintwa, ancien correspondant de RFI et propriétaire de la chaine de télévision NumericaTv. Il est un grand intervieweur et un grand formateur de journalistes. Son émission Profondeur est la meilleure de la ville.
Rachel Kitsita, responsable du magazine d’information Actu30. L’une des femmes journalistes qui sait combiner aussi bien sa casquette de présentatrice du journal et reporter.
Pour finir, je cite Stanys Bujakera, journaliste reporter à Actualité.cd et correspondant pour plusieurs médias étrangers.
Mes modèles en journalisme sont des journalistes qui produisent des contenus de qualité et pertinents dans leurs articles en ligne, presse papier et audiovisuels. Ce sont ceux qui se distinguent dans la capacité d’angler leurs sujets, ceux qui se lèvent chaque matin à la recherche de l’information, ceux qui luttent dans un environnement hostile entre la précarité des revenus et le souci de rester objectif, ceux qui prennent des risques pour couvrir certains événements. Ils incarnent la valeur d’une presse libre et qui élève le débat.
Quelles sont les marges de progrès en matière de journalisme dans votre pays ?
(AMN) : En République démocratique du Congo, pour améliorer le journalisme dans notre pays, il faudrait :
- des médias économiquement forts, avec des contenus diversifiés, capables d’offrir de bonnes conditions de travail aux journalistes
- instaurer une semaine nationale d’éducation aux médias et à l’information. Nous sommes face à un public qui ne comprend pas réellement à quoi sert un média ou comment les organes de presse fonctionnent encore moins comment les journalistes collectent des informations. Si nous avons des auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs qui comprennent ces notions, les journalistes auront face à eux des gens qui sont capables d’analyser et d’avoir un esprit critique, cela va briser la méfiance entre les journalistes et la population.
- renforcer les compétences des journalistes en matière d’outils multimédias
- avoir une loi d’accès à l’information
- réformer l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC). Cette organisation indépendante de soutien aux journalistes en RDC octroie des cartes de presse aux professionnels des médias. Je pense qu’il faudrait qu’elle se transforme en organe de régulation des médias pour sanctionner les journalistes qui s’écartent du code et de la déontologie des journalistes.
Interview publiée en février 2020