Interview de Yassine Afia, doctorant en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris II Panthéon-Assas sur le discours politique, la communication d’influence et les grands enjeux de l’information dans le monde.
Qu’est-ce qu’un discours politique réussi ?
Yassine Afia (YA) : Le discours politique est le moteur indispensable à l’organisation de la vie au sein d’une démocratie. Il représente ainsi le lien de médiation entre l’ensemble des acteurs de la société civile. La première fonction d’un discours politique consiste à transmettre un message en vue de rechercher l’approbation de l’auditoire.
Au-delà de la seule maîtrise rhétorique, un discours politique se doit de mettre en perspective à la fois le contexte, le lieu, les enjeux et l’état d’esprit des récepteurs. Aussi, il est évident que la réussite d’un discours demeure intrinsèquement liée à la crédibilité du programme politique qu’il véhicule d’une part, et à l’éloquence de l’orateur qui l’incarne et le prononce, d’autre part.
Il ne s’agit pas seulement de « faire beau » en cherchant la « bonne formule » mais de construire méthodiquement un discours structuré et cohérent afin de le rendre audible. Parce que la forme mime le fond, un discours politique doit argumenter pour convaincre, mais il doit également séduire pour persuader et remporter l’adhésion du public. Comme l’a si bien formulé Victor Hugo : « concision dans le style, précision dans la pensée, décision dans la vie. »
Loin de poétiser la trame discursive, la finalité d’un discours politique est de rendre un langage, souvent technicien, accessible au grand nombre. De ce fait, un discours politique est réussi lorsque celui-ci répond à une synthèse exprimant à la fois le rationnel et l’émotionnel, tout en rendant possible la rencontre entre le désir de l’auditoire et la proposition politique.
Quelle est votre approche de la communication d’influence ?
(YA) : Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, une organisation (entreprise, association, institution…) ne peut plus se contenter de détenir les meilleurs produits, la meilleure idéologie ou les meilleures compétences pour se démarquer ; elle doit également s’intéresser à la manière dont son image est perçue à l’extérieur.
Dans cette optique, la communication d’influence intervient pour aider une organisation à construire une véritable identité et lui permettre d’assoir une perception qui lui sera favorable au sein de l’écosystème dans lequel elle évolue.
La communication classique s’intéresse à un produit ou à une marque afin d’en faire la promotion à destination du consommateur final. La communication d’influence, quant à elle, consiste à différencier de manière positive une organisation par rapport à ses différents concurrents, en conduisant son écosystème à épouser sa vision du monde. De ce fait, la communication d’influence agit de façon indirecte en visant des cibles intermédiaires (influenceurs, médias, décideurs publics, ONG, partenaires privés…) qui contribueront, à leur tour, à consolider l’identité forte d’une organisation.
Ainsi, la communication d’influence constitue le bras armé nécessaire au déploiement concret d’une stratégie d’influence qui s’inscrit dans le temps long.
Pour ce faire, une organisation qui repose sur une communication d’influence suggère aux publics qu’elle cible divers contenus argumentés afin de nourrir le débat, en poussant ces derniers à infléchir leur position dans un sens qui lui serait favorable, comme en atteste cette phrase que j’emprunte à Edward Bernays : « l’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer. »
Quels sont pour vous les enjeux de l’information dans un monde de plus en plus connecté ?
(YA) : Le développement de l’internet a contribué à accroître le nombre des communications au détriment de la qualité des informations. Par ailleurs, la multiplication des vecteurs de communication par le biais des médias et des réseaux sociaux numériques a participé, dans une acception durkheimienne, à l’émergence de ce que Marzouki et Oullier ont qualifié de « conscience collective virtuelle ». Dans ce sens, le foisonnement de contenus permet de créer des prétoires virtuels qui agissent dans les esprits avant même qu’il soit possible de vérifier l’exactitude d’une information.
Dans cet espace-temps accéléré, les journalistes se sentent dépassés et condamnés à suivre, n’arrivant que trop tard pour confirmer l’existence d’un évènement ou constater son caractère mensonger.
En effet, les phénomènes de manipulation de l’information qui existent notamment à travers la propagande, la désinformation, ou les fake news, participent à pervertir la qualité du débat public dans des sociétés démocratiques de plus en plus en perte de repères et de valeurs.
Dans cette ère de l’instantanéité où tout citoyen a accès, peu ou prou, à un nombre considérable d’informations, il est urgent pour les États, mais aussi pour l’ensemble des acteurs de la société civile de prendre conscience de la nécessité de maîtriser l’usage de l’information.
Face à l’intensification de la circulation des contenus, les citoyens doivent s’approprier une culture de l’information de sorte qu’ils puissent avoir recours à des outils efficaces, savoir prendre du recul et adopter un esprit critique leur permettant de s’orienter dans la société de l’information.
Interview publiée en mars 2020
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