Interview de Pierre-Emmanuel Mérand, formateur et consultant en communication au sein du cabinet L’Ecriture digitale sur la communication digitale des institutions publiques, le métier de journaliste territorial, le métier de plume, la relation avec les médias, la communication des établissements culturels. L’occasion de faire un tour d’horizon des grandes transformations de la communication publique en France.

Comment définiriez-vous la communication publique ?

Pierre-Emmanuel Mérand (P-E.M) : La communication publique, au regard de la communication politique, n’a absolument pas les mêmes objectifs. La communication politique vise l’élu, sa relation avec les citoyens et les élections qu’il vise. La communication publique informe sur le territoire ou les différents pouvoirs régaliens et les promeut auprès des citoyens. Elle répond à une exigence de transparence à leur égard. Elle informe des hommes (demos) sur un territoire donné (géographie) et sur un thème précis (domaine de gouvernance). De la terre et des hommes, comme le titre Antoine de Saint-Exupéry dans l’un de ses ouvrages.

Quels sont les enjeux de communication interne et externe des établissements culturels ?

(P-E.M) : La communication est médiatrice, comme le journalisme d’ailleurs, bien qu’elle utilise un biais particulier : la valorisation de l’institution. Elle est donc l’intermédiaire entre les exigences d’une élite culturelle et les attentes populaires qui parfois sont antinomiques. Elle a donc pour rôle de valoriser la culture émanant du peuple, d’en faire un objet de culture. Elle doit aussi la rendre accessible car elle exige parfois une culture générale étendue. La communication culturelle doit multiplier les canaux de communication dans un objectif qui doit être essentiellement pédagogique. Elle transmet à l’élite la culture populaire et transmet au peuple la culture élitaire. Elle serait d’ailleurs un très bon moyen de réconciliation entre le peuple et l’élite à partir d’un terreau commun.

Les institutions publiques communiquent-elles efficacement sur les réseaux sociaux ? Quelles sont les marges de progrès ? Devraient-elles davantage être dans la construction d’un dialogue avec les citoyens ?

(P-E.M) : Non et la raison en est très simple. Le fonctionnement d’une institution est vertical quand celui des réseaux sociaux est horizontal, démocratique. Imaginez-vous un tweet qui doit passer par le long processus de validation d’un Conseil général ? Une fois validé, l’information aura considérablement refroidi. Et si on laisse une personne s’en occuper avec un processus de validation restreint, il y aura quand même une logique d’auto-censure qui rendra l’information fade et sans grand intérêt pour les « réseauteurs ». Croyez-vous qu’une institution se permettrait d’interroger ses citoyens via Facebook pour générer de l’interaction ? Le risque est trop grand. Tant que les institutions n’auront pas changé de fonctionnement, le canal des réseaux sociaux sera inopérant. On peut dire d’ailleurs que cela pose un réel problème démocratique.

En quoi consiste le métier de journaliste territorial ? Ne devrait-on pas parler de rédacteur territorial ? Quelles sont les compétences nécessaires ?

(P-E.M) : Le journaliste transmet l’information. Le rédacteur territorial aussi. Mais le journaliste est libre de son interprétation. Le rédacteur territorial lui travaille au service d’une communication publique. Ce n’est donc pas la même chose, même si dans la réalité, les frontières sont devenues floues. Les compétences sont proches : il faut savoir recueillir une information pertinente et la restituer en vue de son public de telle sorte qu’ils apprennent quelque chose d’utile qui concerne le service public et le mette en valeur. Ensuite, ils doivent savoir écrire, et, j’ajouterais, parler, voire même filmer, ce qui est devenu inévitable avec le web.

Le métier de plume devrait-il être reconnu en communication publique comme c’est le cas en communication politique ? Comment le définiriez-vous ?

(P-E.M) : Oui, il est indispensable. Ce qui fait la différence actuellement est la créativité. En communication politique, la créativité est essentielle. L’activité est littéraire : en rédigeant un discours, je m’incarne dans celui qui le prononce, je transpose mon moi, mon propre caractère, mes propres idées en vue de son adaptation à l’idée d’autrui. Tout auteur fait cela. Je suis persuadé qu’un Michel Houellebecq apprécierait cet exercice. En communication publique, il y aurait tant de choses à faire, d’auteurs à s’inspirer, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer le territoire. Je citais notamment Saint-Exupéry, mais il n’est pas le seul, Julien Gracq, François Mauriac… Malheureusement, la plume n’est pas demandé aux rédacteurs. On ne leur demande pas non plus d’être des journalistes, mais trop souvent des rédacteurs d’actes administratifs. Le ton est trop souvent neutre et la créativité n’est pas sollicitée. Si le rédacteur gagnait en liberté et en créativité, je pense que la communication publique ferait un bon en avant.

En tant que professionnel de la communication publique, avez-vous constaté au cours des 10 dernières années des évolutions des relations avec les médias notamment sous l’influence du digital ? Quels conseils donneriez-vous pour avoir des relations médias les plus efficaces possibles ?

(P-E.M) : En ce moment, nous assistons à un véritable bouleversement des médias en raison de la révolution numérique mais aussi de la crise de la représentativité. Les médias ne sont pas forcément en bonne santé. Une étude de Sciences Po Paris sur le site de l’Institut Montaigne (https://www.institutmontaigne.org/publications/media-polarization-la-francaise) marque la dichotomie entre déclin des médias traditionnels et émergence des médias alternatifs. La relation avec les médias doit, de fait, être polymorphe et s’adapter à toute forme de média. Je prends l’exemple impressionnant de Thinkerview, chaîne You Tube qui draine plus de 400 000 abonnés en offrant des entretiens de plus d’une heure trente sans effet de caméras, sans le visage de l’intervieweur. Certains hommes politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg ont répondu aux questions. Pour eux, la forme de communication diffère totalement mais, en même temps, elle est une alternative passionnante. Ils l’ont saisi. Il y a les relations avec les influenceurs. Les offices de tourisme commencent à s’en emparer, ils sont les premiers concernés. Il y un champ du possible extraordinaire pour la communication politique et publique… à la condition d’arriver à être projectif et inventif, car les relations presse arrivent sur un sentier totalement nouveau.

Interview publiée en juin 2020


Vous souhaitez également répondre à une interview afin de partager votre expertise en communication publique ? Découvrez les questions : https://cercledescommunicants.com/2019/07/23/communication-publique-marketing-territorial-interview/


Toutes les interviews réalisées par le CCJF : https://cercledescommunicants.com/les-interviews/