Interview d’Anne Massok Omgba, Consultante stratège en communication exerçant au Cameroun, dans la région subsaharienne et en France.
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
Anne Massok Omgba (A M O) : Oui ! Bien que les élections continuent de symboliser le manque de démocratie dans les pays africains, la meilleure stratégie visant à contenir d’éventuels soulèvements populaires en promettant de grands bouleversements. Le changement est l’argument le plus couramment employé, le plus laconique possible. Face à l’espoir nous sommes tous désarmés, nous y succombons.
En France, la technique diffère sensiblement. Les politiciens jouent la carte de la différence, de la rébellion, de la rupture. Plus agressifs, ils sont à l’image du Peuple français. Ils contestent, crient, scandent leur déception face au système en place puis, comme les candidats africains, promettent la rupture.
Deux approches qui diffèrent en un point précis : les candidats africains noirs ne peuvent pas s’exprimer sur le système en place car ils en sont généralement les rejetons et susciteraient le ridicule au sein de la population. Maurice Kamto, au Cameroun, a créé un précédent, en invectivant et en menaçant le pouvoir en place. Résultat, les populations camerounaises le soutiennent. Il incarne la rupture. La plupart des populations africaines attendent de leurs candidats des améliorations concrètes et donc des promesses électorales concrètes, réalistes. Donc oui, elles élisent les candidats qui leur servent ce qu’elles veulent entendre. Encore faut-il connaître les réalités locales. Nous ne sommes pas ici dans des contextes occidentaux, les valeurs et les idéaux ont peu leur place.
Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ?
(A M O) : En communication politique, il faut savoir activer les leviers d’information (la vraie, la sensible), maîtriser et diffuser le message et savoir implanter un visuel (les plus grandes histoires, les plus beaux concepts politiques, sont visuels). Il faut savoir construire une représentation de l’homme politique, une image mentale, que les citoyens garderont en tête lors des élections. Je pense, par exemple, au travail de Jacques Pilhan et de Gérard Colé sur l’image de l’ancien Président François Mitterrand.
Pourquoi d’après-vous les communicants politiques sont-ils si détestés ?
(A M O) : Ils sont perçus comme des vendeurs de produits et on les dit excellents dans les arts du mensonge et de la manipulation. Il me semble qu’un bon communicant, surtout politique, doit se faire oublier et ne pas faire parler de lui lorsqu’il travaille pour le compte d’un client.
L’historien Christian Delporte estime que certains communicants politiques se comportent comme des « marionnettistes ». Ils façonneraient le discours de la personnalité politique et la réduiraient à une voix. Qu’en pensez-vous ?
(A M O) : Je pense fermement que le rôle d’un communicant n’est pas de créer, d’inventer un personnage, en particulier dans le domaine de la politique, mais plutôt d’aider un candidat à mieux communiquer son message, à mettre en exergue (par la gestuelle, le style, l’image mais aussi par le discours politique) les qualités de sa personnalité politique. N’est pas bon politicien le plus brillant des hommes, mais celui qui dispose à la fois de la meilleure audience et des meilleurs outils de diffusion de son message. Le fond est délivré par la forme. La forme est capable de livrer le plus difficile des messages.
Quels sont pour vous les 3 grands communicants politiques actuels ou décédés de votre pays ?
(A M O) : Jacques Pilhan, Gérard Colé et Anne Hommel. Ces trois communicants sont discrets, créatifs et pugnaces dans la gestion de crise. Ils sont visionnaires, identifient les opportunités, prennent des risques calculés et sont capables de trouver de la cohérence et de la continuité dans les plans de communication de crise. Il n’est pas évident de porter un plan de communication et de devoir essuyer un revers brutal, puis de reprendre les choses en main et de continuer la partie avec de mauvaises cartes. De vrais gladiateurs comme dirait Olivia Pope, l’actrice principale de la série télévisée Scandal. « L’écriture médiatique », voilà leur point fort.
Jacky Isabello estime qu’« avant une campagne, le communicant politique doit passer toute la vie du candidat au peigne fin, c’est l’étape du confessionnal, car il y aura toujours des boules puantes ». Pensez-vous que le candidat confesse vraiment à son conseiller communication tous ses vilains petits secrets ? N’y aurait-il pas un danger pour le candidat ?
(A M O) : Les candidats ne livrent pas toujours leurs plus sombres secrets, en particulier sur le plan politique. La trahison dans la vie privée, par exemple, semble souvent moins tragique que la vérité sur les alliances ou les trahisons politiques. Dans ce domaine, je pense qu’il faut être un sacré initié pour accéder à de tels niveaux de confidences qui sont des leviers d’influence sensibles. Il me semble que c’est au communicant d’aller chercher les informations au sujet de son candidat… et de bien préparer les scénarii de crise.
Interview publiée en décembre 2020