Interview d’Okan Germiyanoglu, Docteur en science politique, Chercheur associé au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS) situé à Lille. Dans cette interview, il s’exprime à titre personnel.
Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Etes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?
Je n’ai pas lu l’interview de Dominique Wolton, même si ses travaux sont largement étudiés par les étudiants en journalisme et en science politique. Je rappelle simplement que la communication politique ne date pas d’hier. Quand Jules César rédige la Guerre des Gaules, il fait de la communication politique ; quand Napoléon Bonaparte rédige le compte-rendu d’une bataille, il fait de la communication politique. Celle-ci évolue donc depuis la nuit des temps, bien qu’elle puisse connaître des hauts et des bas par rapport à un idéal de bonne communication politique (mais cet idéal existe-t-il réellement ?).
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
Certaines personnalités croient devoir le faire pour gagner des suffrages. D’autres font le choix de dire la vérité aux électeurs, donc ce qu’ils n’auraient pas envie d’entendre. Or, tout cela relève de perceptions et de croyances des personnalités politiques et leurs entourages sur ce que pensent les électeurs. Mais il y a une autre variable qui compte dans chaque pays : le degré d’éducation générale des électeurs. Les moins diplômés d’entre eux sont plus susceptibles de tomber dans le piège des démagogues et des populistes.
Qu’est-ce qu’un bon discours politique ?
Un discours qui fait appel à la vérité, à l’intelligence de l’auditeur, qui fait référence à l’histoire et à l’humanisme, le tout avec une pincée d’humour et d’humilité.
Le philosophe Régis Debray critique « l’équation de l’ère visuelle », théorie selon laquelle le visible, le réel et le vrai se confondraient. Les personnalités politiques sont-elles également prisonnières de cette équation ? Peuvent-elles l’éviter ? Comment ?
Je n’ai pas lu la théorie de Régis Debray. Mais le défi de la communication politique aujourd’hui n’est plus de faire passer un message pour convaincre un auditoire mais de démentir un fait ou un propos afin que l’auditoire ne soit pas pris au piège de la désinformation. À partir de là, la lutte contre la désinformation est devenue une exigence pour les démocraties face aux mensonges véhiculés régulièrement par les partis populistes ainsi que par les autocraties et les dictatures.
Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ? Quels devraient être les principes philosophiques qui guideront demain la communication politique ?
Quelques principes simples : vérité, humilité, spontanéité.
En quoi consiste le métier de communicant politique ?
Ce métier consiste à donner un cadre pour une communication efficace de la personnalité politique, tout en conservant pour celle-ci les principes édictés précédemment.
Selon François Mitterrand, « une campagne repose sur plusieurs piliers : il faut un candidat sachant faire campagne, un parti en ordre de marche et un projet ou du moins trois ou quatre mesures phares qui indiquent une direction ». Est-ce vraiment aussi facile que ça ? Y a-t-il des éléments qui manquent ?
Les propos de l’ancien président restent de bon sens. Mais il faut ajouter aujourd’hui le fait que les candidats se sentent contraints de détailler leur programme pour répondre à toutes les attentes de toutes les catégories socio-professionnelles. Certains électeurs voteront pour différentes raisons (et parfois sans raison). C’est une variable encore importante : la sociologie électorale. Cela revient à se demander à qui s’adresse-t-on ?
Selon Jack Lang, « quand les gens engagent des polémiques contre vous, c’est la preuve que vous êtes vivant ». Les polémiques peuvent-elles être utiles lors d’une campagne ? Auriez-vous un ou deux exemples de polémiques qui ont permis à la personnalité politique de tirer son épingle du jeu ?
Il semble assez certain qu’une polémique permette à une personnalité politique (ou autre) d’exister sur la scène médiatique. Si la polémique ne relève pas de la probité de la personnalité visée, les dégâts seront probablement limités. La polémique peut même devenir un avantage si elle est démentie en démontrant qu’elle relève de la désinformation.
Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?
En France et dans certaines démocraties comme aux Etats-Unis, la désinformation est un fléau pour les gouvernements et surtout pour les partis républicains et démocratiques. Les fake news sont régulièrement l’apanage de mouvements citoyens et de formations politiques qui se situent sur les sphères extrêmes de la vie politique des démocraties. C’est le défi de la communication politique aujourd’hui : celui qui disait des horreurs (insultes et théories complotistes) le faisait naguère dans un bar isolé où personne ne l’écoutait réellement. Aujourd’hui, le même individu peut s’exprimer de manière anonyme et faire partager à des milliers de personnes ses croyances farfelues et/ou sa haine de l’Autre.
Pour l’ancienne Sénatrice Joëlle Dusseau, un élu doit savoir refuser de s’exprimer sur un sujet dont il n’a pas tous les éléments d’appréciation. Êtes-vous d’accord avec elle ?
Oui. Quand on ne sait pas ou l’on ne maîtrise pas parfaitement un sujet, tout individu doit le reconnaître et ne pas tenter d’y répondre. Parler sans savoir est un risque pour une personnalité politique ; cela est moins le cas pour l’internaute anonyme qui diffuse des théories complotistes.
Quelles sont pour vous les grandes étapes qu’a connues la communication politique depuis sa création ? Comment qualifieriez-vous l’ère dans laquelle se trouve actuellement la communication politique en France ?
En France, les citoyens sont noyés sous les informations et les actes de désinformation. La problématique est que certains journalistes (pas tous) ne font pas le travail de vérification des « informations » émises par les mouvements citoyens et les formations politiques de la sphère extrémiste. Cela permet à certains individus de cette sphère d’affirmer publiquement des mensonges sans être contredits par les journalistes qui réalisent l’entretien.
Par rapport à la communication politique nationale, existe-t-il des spécificités en matière de communication politique locale ?
En France, la communication politique locale se divise géographiquement entre l’Ile-de-France (avec Paris) et le reste du pays. Partout en province, le moindre engagement citoyen au niveau local trouvera un écho dans la presse quotidienne régionale (PQR). Par contre, dans Paris et en Ile-de-France, la communication politique locale se limite souvent à la « fête annuelle aux œufs mimosa » à Triffouillis-les-Oies (c’est une gentille caricature), car il y a peu de concurrence entre médias locaux. Il y a même un monopole sur l’Ile-de-France d’un média local. On notera également qu’il y a une tendance de ces médias locaux à relayer trop sagement les informations des collectivités locales sans s’intéresser aux initiatives citoyennes ainsi qu’aux oppositions politiques locales.
Les femmes politiques communiquent-elles de la même façon que les hommes politiques ? Quelles sont les grandes différences ? Les hommes politiques devraient-ils prendre exemple sur les femmes politiques ?
Globalement, les femmes et les hommes politiques communiquent de la même façon. Il y a peut-être une légère tendance à voir les femmes politiques privilégier le format vidéo (et donc le fond) pour faire passer des messages aux auditeurs. Les hommes auront peut-être plus tendance à privilégier le format des photos (la forme) pour montrer qu’ils sont en action sur le terrain. Mais cela relève plus d’une impression, d’un sentiment, de ce qui est fait sur les réseaux sociaux en France… et cela peut être débattu.
Interview publiée en mars 2021
(crédit images : extrait d’une vidéo réalisée par l’ESCE – International Business School)