Interview de Frédéric Fougerat, directeur communication depuis plus de 30 ans, passé par la communication politique, la communication publique et le privé. Il est aujourd’hui directeur de la communication dans le privé. Il est également l’auteur du livre Un DirCom n’est pas un démocrate (aux éditions Bréal) et vient de publier Le Dico de la Com (aux éditions Studyrama).
Pourquoi d’après vous les communicants politiques sont-ils si détestés ?
Les communicants politiques sont probablement détestés pour deux raisons majeures. D’une part, ils servent souvent de fusibles et sont, de ce fait, souvent présentés négativement, comme les responsables des échecs de communication. Quand un homme ou une femme politique affiche des succès dans sa communication, on affirme qu’il ou elle a un sens incroyable de la communication, et n’a donc pas recours à des conseillers. À l’inverse, en cas d’erreur, la faute de communication sera souvent reportée sur le communicant pour protéger la personnalité politique. C’est peu glorieux, et très négatif pour la profession. Parfois aussi, le communicant est appelé en dernier recours. Il n’a pas été associé à temps, il ne lui a pas été communiqué toutes les données d’un sujet, il n’a pas été écouté, puis on attend de lui qu’il vienne, avec une solution miraculeuse, régler une situation en urgence. Mais les urgences, cela reste le domaine de l’hôpital et des pompiers. La communication, elle, est une question de vision, de professionnalisme, de stratégie, d’organisation, d’expertise, pas de bricolage de dernière minute.
D’autre part, les communicants politiques se donnent parfois eux-mêmes une image négative, qui nuit à l’ensemble des communicants politiques. Ce sont celles et ceux qui s’expriment dans les médias, interviennent sur les plateaux de télévision, et qui confondent leur rôle d’observateurs et d’experts avec celui des politiques. Ce mélange des genres, quand il se produit, participe à décrédibiliser leur discours, mais aussi toute une profession.
Selon Jacques Hintzy, ancien responsable du visuel des campagnes de Valéry Giscard d’Estaing, « on élit un homme, pas un programme ». Pour être élu, une personnalité politique a-t-elle encore besoin d’un programme ou un bon storytelling est-il suffisant ?
À l’ère du tout communication, pour être élue, une personnalité politique a assurément besoin d’une bonne image et d’un bon storytelling. Et cela peut parfois suffire pour franchir le cap d’une élection. Mais l’élection n’est pas un aboutissement. Ce n’est que le début d’une histoire qui doit être accompagnée par de la communication, mais qui ne peut pas uniquement reposer sur la communication. Si l’élection n’a pas également été acquise sur la base d’un programme, de propositions, d’objectifs, si les électeurs ne peuvent pas dans la durée avoir une lecture de l’action publique attendue, alors le risque de déception est fort. La légitimité politique se perd facilement, l’opinion se retourne de plus en plus rapidement. D’autant plus vite si aucun contrat moral ne semble avoir été établi avec son candidat élu.
Comme en communication, le contenu est essentiel, en politique le programme reste essentiel.
En France, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? Si oui, comment définissez-vous chacun des termes ?
En France, on peut dire que la définition entre communication publique et communication politique est parfaitement claire au niveau académique. Mais dans les pratiques, il y a souvent amalgame, ce qui rend la distinction confuse.
Un maire qui prend une position politique politicienne dans son bulletin municipal, fait de la communication politique dans un média de communication publique. Autant le magazine de la ville peut rendre compte de l’activité politique de l’élu, au sens de son action pour la cité, autant il ne devrait pas lui servir de tribune politicienne, hors page, prévue par la loi, réservée aux différents groupes politiques de l’assemblées municipales.
Ce manque de respect des citoyens, comme des deniers publics, est en France une tradition, que les réglementations les plus récentes sur le financement des activités politiques ont peu impactées, hors périodes électorales. Le manque de rigueur, d’éthique et de risque permet de s’affranchir de règles peut contraignantes.
Si la communication publique devrait englober uniquement la communication de l’action des institutions et des organisations publiques, elle se transforme souvent en action de promotion personnelle des personnalités qui incarnent cette action publique, voire en promotion partisane, ce qui entre dans le champ de la communication politique, au titre de la propagande.
Les algorithmes radicalisent-ils la communication politique ?
Les algorithmes radicalisent la pensée politique car ils participent à mettre en relation des personnes aux points de vues identiques, ce qui ne favorise ni la réflexion, ni le débat. Ils alimentent les individus en fonction de ce qu’ils ont envie de lire ou de voir, afin de les conforter dans leurs croyances ou certitudes, au lieu de les amener à s’ouvrir sur d’autres philosophies ou visions du monde.
Les algorithmes ne radicalisent donc pas la communication politique mais l’oblige à se repenser, pour tenir compte de ces données nouvelles. En revanche, on le voit avec la montée du populisme sur toute la planète, certains politiques, accompagnés de leurs communicants, jouent avec les masses populaires, pariant sur les dégâts que peuvent créer ces algorithmes, au bénéfice de qui sait les utiliser avec des intentions de manipulation des foules. Il y a donc là, assurément, un risque de dérive de la communication politique. L’échec de la réélection de Donald Trump en 2020 aux États-Unis prouve, toutefois, que rien n’est gagné d’avance pour les discours populistes. Ça ne dit pas pour autant qu’il n’y aurait pas de risque et de nombreuses questions à se poser pour protéger la qualité du débat démocratique dans les pays dont c’est la culture.
Pour l’ancienne sénatrice Joëlle Dusseau, un élu doit savoir refuser de s’exprimer sur un sujet dont il n’a pas tous les éléments d’appréciation. Êtes-vous d’accord avec elle ?
Non seulement un élu devrait savoir refuser de s’exprimer sur un sujet dont il n’a pas tous les éléments d’appréciation mais il devrait même se l’interdire. La parole publique est de plus en plus déconsidérée, parque qu’elle est de moins en moins experte. Malheureusement, l’idée n’est plus de tenir le propos le plus intelligent ou le plus utile mais de faire le plus de bruit possible, à la fois pour profiter de ce temps d’exposition médiatique offert, et pour paraître être un bon client à audience, pour se faire réinviter le plus vite possible. Avec l’arrivée des chaînes d’information continue, on est passé, en France, de trois journaux télévisés par jour, le 13 h, le 20 h et le journal de la nuit, à 48 journaux, un toutes les trente minutes, obligeant à combler, à faire du bruit médiatique, même quand on a rien à dire, même quand on ne connaît pas le sujet. L’important pour le politique étant de saisir toutes les opportunités d’exposition publique de masse. Quant aux médias, ils doivent s’assurer de présenter des personnes à l’antenne, privilégiant parfois la quantité à la qualité.
Non seulement un élu devrait refuser de s’exprimer sur certains sujets quand il ne les maîtrise pas, mais il devrait aussi se sentir la liberté, le droit de refuser de s’exprimer, pourquoi pas dans certains médias, aux moins dans certaines émissions, dont le format, le ton, le journaliste ou l’animateur ne lui paraissent pas adaptés aux sujets qu’il a à traiter… surtout à l’ère de l’infotainment, où la frontière entre information et spectacle est de plus en plus floue. On se souviendra en France, par exemple, de Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, garde des Sceaux, qui refusait de donner suite aux invitations, voire aux convocations, de la matinale du journaliste vedette Jean-Jacques Bourdin, dont l’émission relevait plus pour certains de l’affrontement que de l’information. Le journaliste fustigeait la ministre, l’accusant de ne pas respecter la démocratie en refusant de rendre compte de son action devant ses auditeurs, quand la ministre, elle, disait, avoir à rendre des comptes prioritairement à la représentation nationale. Savoir dire non, avoir du courage, c’est aussi cela être un homme ou une femme politique de haut niveau.
Interview publiée en avril 2021
(Crédit photo : Patrick Gaillardin)