Interview d’Amzath Abdoulaye, Consultant Politique, responsable associé à 2AFConsult-Services, analyste et chroniqueur politique sur la communication politique au Bénin.
En quoi consiste le métier de communicant politique au Bénin ?
Frédéric Fougerat disait : « la Communication est un métier. »
Au Bénin, cet aspect semble échapper à plus d’un sous deux angles. En effet, on confond facilement le communicant et le journaliste d’une part, et d’autre part le métier de communicant est perçu comme étant un métier superflu. Or, le rôle du communicant est capital au sein d’une entreprise, d’une entité et même d’une organisation politique.
La différence entre le communicant et le journaliste est immense même s’il existe des similitudes entre les deux professions. À la différence du journaliste qui est en quête de l’information avec pour finalité de l’écrire ou de la diffuser dans un média, le communicant a pour rôle principal la mise en place d’une politique globale, voire spécifique, de la communication d’une personne, d’une entreprise, d’une entité, etc.
Même si comme le journaliste il doit vérifier les informations après les avoir collectées, le communicant est plus dans la dynamique d’en faire une synthèse dans un but bien précis : la bonne image de son employeur dans la presse ou dans la conscience collective, d’où un caractère subjectif, opposé à l’objectivité du journaliste.
Ces dernières années, le communicant joue un rôle importantissime dans la machine politique béninoise. En effet, il est le lien entre une bonne communication et l’homme politique.
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
On dit souvent qu’en politique les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Cette citation n’est pas seulement valable en période électorale comme le soulignait Jacques Chirac, mais également dans le quotidien politique.
Le citoyen béninois depuis plusieurs années est abonné à un discours politique souvent vide et creux, dépourvu de toute objectivité. Et pourtant ?
Il faut croire que la parole, encore plus de l’homme politique a un effet sur le Béninois parce que la première offre au dernier ce qu’il voudrait entendre.
Cette nature a toujours eu pour conséquence la déception collective à la fin des mandats électoraux.
Mais je suis tenté de poser la question autrement : le politique peut-il adresser un message franc aux citoyens ? Je pense que oui. Mais il aura absolument tout à perdre et peu à gagner en prenant ce risque. L’une des clés d’une communication politique efficace est d’entretenir parfois le flou et surtout de ne pas tout dire, en d’autres termes, faire l’économie de vérité. Ce type de communication est régulièrement pratiqué par le Président de la République Patrice Talon.
Qu’est-ce qu’un bon discours politique ?
Le bon discours politique est celui qui fait abstraction des règles et qui met en exergue un message clair autour de trois axes : une introduction, un développement et une conclusion avec des transitions simples et limpides.
Il est toutefois important de juger la qualité d’un bon discours politique par rapport à sa forme et son fond et de plus en plus par rapport au contexte.
Ainsi, le discours politique en période de crise par exemple est plus complexe et répond à des principes strictement liés aux événements passés ou à venir.
Par ailleurs, la base d’un bon discours politique répond à deux règles : un bon speech et un développement original, axé autour d’un storytelling qui accroche l’interlocuteur, ce qui facilite le passage du message. L’un des maîtres au Bénin est Gaston Zossou, ancien ministre de la Communication et actuel Directeur de la loterie nationale du Bénin.
Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ?
Au Bénin, la particularité réside dans le fait d’atteindre les objectifs sans jamais suivre les règles. En communication politique, il existe pourtant bien des règles à suivre pour une efficacité complète.
Les plus essentielles sont : l’entretien de l’image et du message, l’intérêt pour la communication, un meilleur contact visuel, une initiation et le maintien de la conversation, le respect du tour de parole, s’adapter à son interlocuteur, tenir compte de ce que l’autre dit, tenir compte de la personne à qui on parle.
Selon François Mitterrand, « une campagne repose sur plusieurs piliers : il faut un candidat sachant faire campagne, un parti en ordre de marche et un projet ou du moins trois ou quatre mesures phares qui indiquent une direction ». Est-ce vraiment aussi facile que ça ? Y a-t-il des éléments qui manquent ?
Oui ou non serait trop simple, car François Mitterrand était Président et politicien d’une autre époque qui semble révolue. En effet la campagne de nos jours est plus alambiquée. Au Bénin, les dernières élections sont illustratrices de cette complexité.
L’idée du parti n’est plus forcément un impératif pour réussir une campagne. Les moyens financiers sont capitaux pour mener à bien une campagne… sans quoi l’échec n’est pas loin.
Dans votre pays, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? Si oui, comment définissez-vous chacun des termes ?
Au Bénin, la frontière entre la communication publique et la communication politique est très mince. En effet, il n’est pas exclu que les deux soient souvent confondus à la fois par les institutions publiques et les principaux acteurs de ces institutions.
La communication publique par définition est l’ensemble de la communication émise par les préfectures, les institutions de l’Etat et les organismes publics. Une communication publique s’adresse à priori aux citoyens dans leur ensemble, sans une distinction particulière. Quant à la communication politique, bien qu’elle s’adresse aux habitants et citoyens, elle est plus sélective et exclusive car rattachée la plupart du temps aux débats politiques, aux polémiques politiques et surtout aux élections. La communication politique au Bénin est souvent assurée par des professionnels à leur propre solde, ou travaillant au sein des institutions, tout en contribuant au bon fonctionnement du service public.
Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?
Pour toucher les jeunes de plus en plus connectés, il faut se polariser en s’affichant plus sur les réseaux sociaux, avec moins de messages écrits, mais avec beaucoup plus d’agressivité des couleurs, plus d’images expressives et plus de vidéos, de plus en plus courtes avec un souci presque monomaniaque de la forme, au détriment du message et de son fond.
Par rapport à la communication politique nationale, existe-t-il des spécificités en matière de communication politique locale ?
La communication politique locale est le parent pauvre de la communication politique nationale. En effet, au niveau local, la communication politique a du mal à avoir une voix qui porte, la faute à l’absence de moyens financiers disponibles.
La communication politique se réduit-elle aujourd’hui, notamment avec les réseaux sociaux, à des formules choc, à des petites phrases ?
Malheureusement à l’ère du numérique, il est de plus en plus fréquent de constater que la communication politique n’est plus ce qu’elle était. C’est-à-dire, un instrument qui participe au changement sur une grande échelle.
La communication politique proprement dite au Bénin n’existe pas. Les institutions communiquent quand elles peuvent, les sites internet sont rarement mis-à-jour, à cela s’ajoute la mort progressive des mass médias habituels qui perdent de l’affluence, ce qui oblige la communication politique à s’adapter face à une jeunesse et une citoyenneté de plus en plus connectée.
Toutefois, il existe une nuance, en temps de COVID-19, la communication politique s’est centralisée. Désormais tout ce qui émane de la santé, comme communication, est contrôlée par l’appareil central de l’Etat. Ce qui a contribué d’une façon, à faire grandir la communication politique au Bénin.
Avec les réseaux sociaux, la parole s’est libérée. La communication politique pour porter et pour se faire entendre doit être régulière et quotidienne tout en s’adaptant aux réalités 2.0. Ce qui revient à trouver des titres ou formules choc, des messages simples mais percutants.
La communication politique est d’ailleurs souvent confondue à la communication d’entreprise. Plusieurs politiques béninois ont souvent recours à des experts, qui ne s’y connaissent pas en communication politique. Confier le rôle du communicant politique à un diplômé en communication d’entreprise, c’est une lourde erreur.
Interview publiée en mai 2021