Interview de Virginie Tisserant, en thèse en Histoire de la politique à Aix-Marseille Université et aussi consultante en communication politique.

Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?

Tout dépend de l’objectif du candidat. Il y a toujours une part de démagogie, même non assumée ! Si le candidat vise le court terme d’une élection, il y sera contraint d’une certaine manière pour se faire élire dans l’immédiat. S’il veut créer un discours alternatif et imprimer sa marque sur le long terme, il peut et doit s’en affranchir. La communication politique peut se nourrir de la perception des motivations profondes des électeurs. Le candidat est alors une prolongation de soi-même : de ses besoins, de ses frustrations comme du futur qu’il dessine. Ou alors le candidat décide de ne pas répondre aux questions que les gens se posent mais de les amener à changer de questions.

Quelles sont les règles qui guident aujourd’hui la communication politique ? Quels devraient être les principes philosophiques qui guideront demain la communication politique ?

Les règles de la communication politique actuelle travaillent le court terme car cette dernière est rythmée par la durée des contrats eux-mêmes soumis à un temps électoral. Pour gagner, un candidat sélectionne une agence pour l’élection X et va en sélectionner une autre pour l’élection Y. Il n’y a pas de perspective d’ensemble pour une vision globale et c’est pourtant à ça qu’il faut remédier. Les principes de la communication politique future devront également s’affranchir de la polarisation de l’opinion publique sur les réseaux sociaux : tendre à ouvrir une troisième voie, la matérialiser, crédibiliser une possibilité alternative. Cette logique repose sur le charisme politique du candidat et l’extrême personnalisation du pouvoir que l’on observe depuis 2008. Cela conduit les candidats à s’affranchir des partis politiques traditionnels et chercher à créer des dynamiques de ruptures et des mouvements.

Selon Jack Lang, « quand les gens engagent des polémiques contre vous, c’est la preuve que vous êtes vivant ». Les polémiques peuvent-elles être utiles lors d’une campagne ? Auriez-vous un ou deux exemples de polémiques qui ont permis à la personnalité politique de tirer son épingle du jeu ?

La polémique sert toujours le candidat outsider car elle menace le rapport de force établi. On peut citer trois exemples : l’élection de Donald Trump en 2016 qui a fait de la polémique sa marque de fabrique, ou encore Jean-Marie Le Pen en 2002 qui arrive à battre Lionel Jospin, candidat dominant pourtant bien installé, ou encore Philippe Poutou en 2017 avec sa punchline “On n’a pas d’immunité ouvrière.” Finalement, l’usage de la polémique est quoi qu’il en soit l’apanage de ceux qui ont plus à gagner qu’à perdre.

Pourquoi les citoyens sont-ils très critiques envers la communication politique ?

La rupture se situe entre les gagnants d’un système et ceux qui le voient désormais comme une menace, reste à chacun à le caractériser ce système : mondialisé etc. La défiance caractérise l’instabilité et est consubstantielle à la crise que nous traversons depuis 2008. Le secret est lié à la politique mais dans une société en crise il n’est plus toléré. On a l’impression que l’exigence de transparence résout tous les problèmes. La complexité des prises de décisions exige toutefois une temporalité longue et une part de secret. Finalement ce n’est donc pas l’enrobage d’un discours qui est questionné mais la profondeur de sa symbolique, ce que l’on nous dit avec des éléments de langages choisis, et les perspectives ouvertes pour quel futur ?

Les algorithmes radicalisent-ils la communication politique ?

Les algorithmes ne sont que le prolongement de ce qui existe déjà en politique. Les militants les plus engagés ne vont toujours qu’aux meetings de leurs partis ou lisent une presse qui confortent leurs opinions. Les algorithmes ne font que transposer ce phénomène aux réseaux sociaux. On ne lit que ce qui va dans notre sens. Les algorithmes des réseaux sociaux choisissent de nous montrer ce qui nous fera le plus réagir. Ils nous enferment dans des certitudes qui ne sont plus questionnées. Chaque camp est conforté dans ses idées et la société se polarise. Ce phénomène se perçoit avec la crise des Gilets Jaunes durant laquelle les pro Gilets Jaunes ne voyaient sur Facebook que des images de violences policières alors que les anti Gilets Jaunes ne voyaient que des images de violences émanant des manifestants.

Par rapport à la communication politique nationale, existe-t-il des spécificités en matière de communication politique locale ?

Bien sûr, la culture et la géographie sont déterminantes lors de la campagne. Les élections municipales permettent de sortir de la logique de politique nationale car les maires sont élus sur leur aura personnelle. J’entends par là, soit les candidats qui bénéficient d’une notoriété et d’une image positive qui transcende les électorats traditionnels (Patrick De Carolis à Arles) ou alors les maires qui font consensus au-delà de leur électorat grâce à une ancienneté certaine et des prises de positions en faveur de leur ville. Ces personnalités s’affranchissent des clivages politiques nationaux et réussissent à créer une dynamique porteuse de renouveau dont ils sont les ambassadeurs.

Les blogs politiques ont-ils encore un avenir ?

Oui, pour ceux qui cherchent à créer de la valeur. Les punchlines disparaissent mais les propositions restent. Il ne faut pas voir le blog comme un simple outil de communication et un support. Au-delà de la fonction d’archives qui permet de percevoir l’évolution politique et idéologique du candidat, il permet également de développer, d’approfondir et de démocratiser un nouveau paradigme potentiel. Mais trop peu de candidats sont capables d’en imaginer un, limitant le blog à un outil de communication supplémentaire. La question n’est pas combien de personnes vont le lire, mais quel potentiel ces dernières ont pour s’emparer des idées annoncées, la logique est différente des réseaux sociaux. Les blogs ne sont pas faits pour être lus dans l’immédiateté, ils permettent d’imaginer un autre possible. Reste au candidat à le matérialiser.

Peut-on utiliser l’humour en communication politique ? Quel est l’intérêt ? Auriez-vous 1 ou 2 exemples de mobilisation de l’humour en communication politique ?

L’humour est à utiliser dans la communication politique au sens large mais jamais dans un contexte strictement électoral. Son usage et sa perception dépendent de l’histoire et de la culture d’un pays comme de la vision que les citoyens ont du pouvoir et de ses représentants. En France, on juge un candidat sur sa capacité à gouverner. Si ce dernier manie de façon trop récurrente l’humour et la dérision, il peut être vu au mieux comme insolent, au pire comme inapte à l’exercice du pouvoir, c’est le rapport à l’Etat. En Italie, c’est différent. L’humoriste Beppe Grillo pour le Mouvement 5 Étoiles a utilisé l’humour, l’insolence et la dérision pour pointer un système déliquescent avec le “Vaffa-day” (Vaffanculo-day), mais il entendait rompre avec les codes traditionnels de la politique.

Interview publiée en mai 2021