Interview de Laurent Cabioch (@laurentCab), directeur conseil pour l’agence Spintank et spécialiste en communication numérique.

Comment voyez-vous la communication publique de demain ? 

Laurent Cabioch (LC) : La communication publique est un organisme vivant, complexe, en perpétuelle évolution. Et son futur se situe à mon sens bien au-delà de son périmètre actuel. Les institutions, comme les entreprises, sont depuis plusieurs années soumises à une sévère crise de légitimité et de confiance… et ce n’est pas la ruée hyperactive vers les réseaux sociaux qui viendra contredire ce fait. Les organisations publiques doivent ainsi reconquérir leur légitimité auprès des citoyens, tout en abandonnant leur posture d’autorité naturelle sur laquelle elles s’appuyaient jusqu’à présent pour se faire entendre.

Plus globalement, nous avons besoin de nous reposer l’éternelle question des publics : ses identités, ses besoins, ses parcours, ses limites… et d’oublier nos vieilles certitudes.

Au bout du compte, deux principales missions viennent irriguer le rôle du communicant public de demain. La première : co-designer l’information et les services aux citoyens, pour accompagner la mise en œuvre de l’action publique. La seconde : faciliter et nourrir l’engagement des citoyens au long cours en permettant la formation de communautés d’intérêts qui concourent à l’acceptabilité des projets publics.

Si vous deviez citer trois actions en communication digitale mises en œuvre par le secteur public et que vous avez trouvées particulièrement intéressantes, quelles seraient-elles ? 

(LC) : La première action, c’est le site de Paris.fr, totalement refondu avec Spintank (http://spintank.fr/realisations/nouveau-paris-fr/). Au-delà d’une simple refonte graphique, ce site révèle la capacité d’une grande collectivité à penser ”service” avant tout et à remettre l’utilisateur au centre de son dispositif de communication.

La deuxième, c’est l’exercice inédit de pédagogie « A quoi servent mes impôts » (https://aquoiserventmesimpots.gouv.fr/) mis en place par le Ministère des comptes publics. Ce dispositif ose enfin donner du sens et des indicateurs tangibles aux contribuables sur l’utilisation de l’impôt sur le revenu. Je regrette juste l’insertion, un peu trop brute, d’éléments de langage politiques dans les textes.

Enfin, la troisième action serait la démultiplication des plateformes participatives pour accompagner la préparation des réformes (Pacte, bioéthique, retraite…). Si elles ont le mérite d’ouvrir enfin la construction des lois au plus grand nombre, ces plateformes me semblent encore trop utilisées comme un alibi d’écoute des citoyens. Par ailleurs, les conditions de la participation me paraissent trop normées pour faciliter une expression individuelle et un débat collectif sur le fond des sujets.

Quelle est l’importance du temps en communication publique ? 

(LC) : Nous dépensons aujourd’hui trop d’énergie pour gérer le temps court, compliquant la capacité d’inscrire l’action publique dans un objectif de moyen ou long terme. L’opinion n’est pourtant pas si versatile que cela ! Le rythme d’information de Twitter ou de BFMTV n’est pas forcément celui qui doit guider la fréquence de la communication publique. Investir sur le temps long, c’est se donner les moyens de raconter l’action publique de manière plus efficace et durable, et d’inscrire le politique dans cette dynamique constructive.

Comment définiriez-vous ce qu’est un communicant public ? 

(LC) : Le communicant public a trop souvent été un simple passeur d’informations, il doit s’affirmer et devenir progressivement le co-designer de l’action publique.

Pourquoi est-ce si difficile aux communicants publics de légitimer leurs fonctions ? Comment améliorer cela ?

(LC) : Selon les organisations, la position du communicant public n’est pas évidente. Il se retrouve souvent partagé entre les demandes multiples et parfois peu raisonnées du politique, la technicité des experts métiers et l’expression de sa propre expertise de communicant.

Pour se légitimer, le communicant public doit s’affirmer comme l’animateur d’un jeu collectif lui permettant de faire accepter son rôle, justifier de sa propre expertise, tout en récupérant chez chacun des joueurs la matière première nécessaire à son activité. Un sacré défi que l’on demande en fait à très peu de métiers !

L’une des pistes d’amélioration passe par la généralisation de méthodes ouvertes et participatives, inspirées du design thinking (même s’il ne faut pas en abuser !). Objectif : construire avec les parties prenantes de l’organisation une stratégie et des moyens de communication en partant des besoins des utilisateurs finaux. La légitimité du communicant passerait ainsi non seulement par la connaissance des techniques de communication, mais aussi et surtout par la maîtrise de méthodes de co-création, qui laissent ainsi à chaque acteur de l’organisation une place de choix pour mieux s’approprier la démarche et les messages.

Pourquoi les services de communication publique recourent-ils à une agence ?

(LC) : Pour beaucoup de raisons, des bonnes et des moins bonnes ! La meilleure raison est de pouvoir confronter les besoins d’une organisation publique avec la vision et l’inspiration d’une structure créative, ouverte et en pointe sur la compréhension des besoins et usages des publics. L’agence accompagne, stimule, co-construit, et si besoin, concrétise selon l’inventaire et la disponibilité des ressources internes au service de communication. En tant qu’agence, notre objectif n’est pas de se cadenasser à nos clients mais de se positionner là où nous pouvons être les plus utiles selon notre expertise et notre expérience (et sur les projets qui nous plaisent aussi !).

Interview publiée en septembre 2018