Interview de Namoin Yao Baglo, Docteur en communication, Maître Assistant à l’Institut des Sciences de l’Information, de la Communication et des Arts (ISICA) de l’Université de Lomé au Togo.

Comment définissez-vous la communication publique et la communication politique ? Dans l’espace francophone, notamment en Afrique, les deux sont-ils bien définis ? 

Namoin Yao Baglo (NYB) : Selon Dominique Wolton, la communication est l’horizon de toute société démocratique, communication et société sont intrinsèquement liées. Dans cette perspective, on peut également lire et comprendre une société grâce à ses pratiques communicationnelles et inversement, l’analyse des pratiques communicationnelles indique le type de société dans laquelle on se trouve. Partant de ces postulats, je pense que le développement de la communication publique et politique est en lien avec le type de société, voire avec le modèle de gouvernance pratiquée. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans les sociétés occidentales à démocratie avancée, les pratiques communicationnelles publiques et/ou politiques des pays africains sont en général assez peu développées.

Par ailleurs, selon Jean-Paul Gourévitch, la communication politique est une notion qui n’est pas encore suffisamment fixée d’un point de vue scientifique. Néanmoins, dans une perspective marketing, elle peut être réduite à un ensemble de techniques dont disposent les acteurs politiques pour séduire et manipuler l’opinion, dans le but de gagner des élections (législatives, présidentielles, locales). Elle aide à donner plus de visibilité aux Hommes et à leurs projets politiques.

La communication publique, quant à elle, recouvre la communication des institutions publiques (Etat, parlement, gouvernement), la communication des institutions investies d’une mission de service public et celle des collectivités territoriales. Elle ne poursuit pas d’objectifs lucratifs ni mercantiles. Elle aide dans la conduite des projets publics ou ceux visant l’intérêt général. Toutefois, une bonne politique de communication publique peut trouver des échos favorables lors d’une campagne de communication politique puisque les acteurs en charge de la gestion publique sont en général des Hommes politiques.

En Afrique et particulièrement au Togo, les frontières sont assez floues entre la communication publique et politique. On note d’ailleurs un développement fulgurant de la communication politique à visée propagandiste au détriment de la communication publique notamment en période pré-électorale.

Toutes les actions du gouvernement, au lieu de faire l’objet d’une véritable communication publique avec comme objectifs l’information, la sensibilisation et la fédération des citoyens autour d’une vision commune de la nation ou du pays, sont plutôt présentées comme l’œuvre du gouvernement et en occurrence du chef de l’Etat dans une perspective électoraliste.

Quels sont en Afrique les principaux outils de communication publique et politique ? Vous-vous des spécificités par rapport à la France ? 

(NYB) : Les outils de communication traditionnels à savoir la télévision, la presse, la radio et l’affichage sont utilisés pour les deux types de communication (publique et politique). Nous observons depuis peu, l’apparition sur les réseaux sociaux, notamment WhatsApp, d’activistes pro parti gouvernemental ou de l’opposition qui inondent la toile en relayant des informations pouvant s’assimiler dans la plupart des cas à de la propagande. Il faut noter que dans le cas du Togo, les médias dit « publics » sont davantage des médias d’Etat que publics. En ce sens, ils ne couvrent presque pas les activités des partis qualifiés de « partis d’opposition ». Heureusement que le vent de la démocratie a soufflé au début des années 90 (en mettant fin au monopartisme), faisant naître des médias privés dont certains essaient de relayer les informations de touts bords, équilibrant ainsi un tant soit peu l’information.

Concernant les outils de communication publique, les mêmes outils traditionnels sont utilisés lors des campagnes de sensibilisation pour le port de la ceinture au volant ou du casque à Moto pour ne citer que ces exemples. Au Togo, une campagne médiatique est actuellement en cours pour éviter les gaspillages concernant l’assurance maladie (Inam). Le slogan est « C’est notre Inam, préservons-le ». Nos pays ont des difficultés à créer et à maintenir une relation électronique avec les citoyens. A l’heure où la majorité de la population (juvénile et citadine) est connectée à l’Internet et où les fournisseurs d’accès Internet font la publicité pour le haut débit, l’administration publique peine encore à intégrer ces nouveaux outils de communication digitale.

En matière d’outil de communication publique et de communication politique, en Afrique, le numérique a-t-il supplanté le papier ? 

(NYB) : En Afrique, le numérique n’a pas supplanté le papier. Certains pays comme le Sénégal qui est calqué sur le modèle français (avec une bonne qualité de connexion Internet à un prix accessible à tous) a donné une bonne part au numérique. D’autres, comme le Togo, sont un peu à la traine.

En Afrique, comment se passe la relation entre les personnalités politiques et les journalistes ?

(NYB) : Pour beaucoup d’hommes politiques africains, la communication se limite à une tournée médiatique. Au regard des résultats du dernier Baromètre des Médias Africains – Togo 2017, le Togo a fait des progrès au niveau de la liberté de presse. Les censures d’articles sont plutôt rares. La presse togolaise est très bipolarisée : le public connaît les médias d’opposition et ceux de la mouvance présidentielle. Son héritage de presse de combat lui colle toujours à la peau. Aussi, peu de journalistes risquent leur vie à proprement parler mais des menaces et des intimidations peuvent avoir lieu.

Pourriez-vous nous présenter deux ou trois campagnes de communication publique ou politique mises en œuvre en Afrique et que vous trouvez particulièrement réussies ?

(NYB) : Une des campagnes politiques qui m’a le plus marquée est celle relative à la campagne présidentielle de 2015 au Togo. Beaucoup de messages ont été déclinés autou du prénom du Président sortant Faure comme : « Plus j’y pense, plus c’est Faure », « Avec Faure, nous sommes forts », « Plus haut, plus loin, plus Faure », « La force du changement, c’est Faure ».

Au niveau de la communication publique, l’Office Togolais des Recettes (OTR) mène une campagne sur le civisme fiscal. Celle-ci, au-delà des outils traditionnels de communication susmentionnés, utilise les relations publiques en allant à la rencontre des différentes couches sociales de la population togolaise.

Quel est le profil des communicants publics et des communicants politiques ? Quelles formations ont-ils suivi ? 

(NYB) : Le profil des communicants pose un véritable problème et impacte la qualité des stratégies. Néanmoins, il est à noter que ces derniers mènent un véritable combat de légitimation de leur place au sein des structures notamment ministérielles. Au sein des ministères, il est à remarquer que le responsable de la communication, au lieu de faire de la communication publique, fait plutôt de la communication politique en étant véritablement au service du ministre.

A ce jour, il n’existe pas au Togo une formation de qualité de niveau universitaire en communication politique et publique. La plupart des personnes occupant ces postes au sein des ministères sont des anciens journalistes formés sur le tas. Etant des fonctionnaires, ils ont été affectés à ces postes sans aucun véritable accompagnement et leur rôle est confiné à l’organisation de la couverture médiatique des activités du ministère et à la diffusion de quelques publications sur la page Internet des ministères (difficilement mises à jour) ou en version papier quand le ministère dispose d’un budget alloué.

Le Togo est actuellement dans un processus de décentralisation : les élections locales sont prévues pour le 16 décembre 2018. A la tête des communes existantes, on retrouve des délégations spéciales nommées par le Président de la République depuis 2001. Ces communes, à l’instar de l’administration publique, n’innovent pas en matière de pratiques communicationnelles d’autant plus que très peu d’entre elles disposent responsable communication. Celui qui est en charge de la communication de la Mairie de Dapaong détient une Licence en Communication des Organisations obtenue à l’Université de Lomé.

Interview réalisée en octobre 2018 par Damien ARNAUD