Interview d’Etienne Raiga-Clemenceau, consultant pour l’agence JIN. Pour le Cercle des Communicants et des Journalistes Francophones, il revient sur les principales mutations de la communication politique.

Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Etes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?

Etienne Raiga-Clemenceau (E.R-C) : Ce n’est pas mon avis. Je dirais plutôt que sa pratique et son décryptage s’est démocratisé, mais que par contre son usage s’est très largement démonétisé. Le numérique et des crises profondes et diverses sont passées par là.

Cependant l’horizon n’est pas tout noir, la campagne de 2017, mais chaque jour aussi, montre des exemples de communication innovante, intelligente, efficace ou sensible qui montrent la voie. Le numérique peut être une voie de régénération de la communication politique, et y participe déjà.

Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?

(E.R-C) : C’était l’esprit de la démocratie représentative, le peuple votait pour des représentants qui portaient plus ou moins bien leur parole. Mais plusieurs phénomènes coagulent pour montrer les limites et la crise profonde et structurelle de la démocratie représentative : grève des urnes, défiance majoritaire, pénurie des vocations (on l’a vu chez les maires notamment) et contestation radicale qu’elle soit sociale comme les Gilets Jaunes ou écologique.

On rentre dans une ère post-représentative où certains élus remettent en question des comportements et dérives qui ont marqué l’opinion, tandis que des citoyens veulent soit s’approprier la politique et décider eux-mêmes, soit s’en détourner totalement, pour schématiser. Entre les deux il y a un tout un spectre de l’activation et du militantisme politique qui se réécrit, via des outils comme NationBuilder par exemple, qui organise, supplée, et granule l’activité d’une campagne ou d’un mouvement en fonction des critères de disponibilités, de compétences, d’usage…

Aux communicants aussi de lire ces signaux, d’alerter et d’adapter en conséquence : c’est bien eux qui doivent composer entre fond et forme, entre ce qu’il faut dire et ce que l’on peut entendre.

De quoi la communication politique a-t-elle besoin pour se régénérer ?

(E.R-C) : Aujourd’hui, la politique souffre le plus d’émettre et de recevoir en vase clos. Le politique lambda n’arrive plus à s’adresser aux citoyens comme autrefois à la sortie des écoles, des églises et sur la place du marché. Objectivement, la structure familiale, la pratique religieuse, les habitudes de consommation, le numérique, la fin des syndicats et partis de masse, ont modifié le rapport entre le citoyen et ses représentants sur la place publique.

Donc cette communication politique a besoin d’authenticité, de terrain, de jeunesse. La communication, comme la politique plus généralement, pêche d’être hors sol. De ressembler à sa caricature, par l’entre soi, le manque d’inventivité, le réchauffé. Ce qui sonne

Grâce au numérique, au travail inventif de terrain, à une certaine forme d’horizontalité, la communication politique peut retrouver ce qu’elle a perdu par ailleurs, un contact humain.

Disons que cela va au-delà d’un filtre Snapchat ou une présence sur un plateau télévisé du type Tout pas à mon poste (TPMP) ! L’artifice c’est considérer qu’un format ou un médium innovant peut pallier à un contenu certes “brillant” mais vide.

En quoi consiste le métier de communicant politique ?

(E.R-C) : Un métier d’acrobate par excellence : conjuguer le besoin de représenter fidèlement une personne, un parti, une idée, avec une audience, un contexte, une opportunité. Cela tout en sortant des chemins battus pour espérer atteindre mieux et différemment les gens, en particulier deux publics très exigeants : ceux qui sont matraqués de contenu politique, très politisés, mais proches d’aucuns partis et indécis, et ceux au contraire qui fuient la politique comme la peste.

Le communicant politique vit deux écueils principaux donc :

  • convaincre celui ou ceux qu’ils accompagnent que des techniques de communication efficaces peuvent servir les idées politiques et concrètement se convertir en un soutien concret (votes, dons, adhésions, engagement) ;
  • convaincre le citoyen que la politique n’est pas ce bel emballage vide, mais que derrière les paroles il y a un pouvoir, une action, une possibilité de changer positivement la vie des gens.

« On élit un homme, pas un programme » disait Jacques Hintzy, ancien responsable du visuel des campagnes de Valéry Giscard d’Estaing. Pour être élu, une personnalité politique a-t-elle encore besoin d’un programme ou un bon storytelling est-il suffisant ?

(E.R-C) : Clairement ! On peut encore être élu sans programme, sans storytelling, sans personnalité même, s’il le faut ! Les scrutins de liste notamment permettent ce genre d’accommodements, mais même en dehors : la grève des urnes, le dégagisme et la présidentialisation de la Vème permet à beaucoup de passagers clandestins de sortir leur épingle du jeu sans respecter les règles.

L’idéal reste toujours d’avoir une personnalité dont la communication et les idées sont en adéquation, avec authenticité, distinction. Je pense immédiatement à François Ruffin, mais d’autres personnages comme Jean-Louis Borloo, Arnaud Montebourg ou Philippe Séguin, ce sont des personnalités à la fois éloquentes, cohérentes et performantes car bien identifiées.

Auriez-vous un exemple de personnalité politique qui communique de façon efficace sur Instagram ?

(E.R-C) : Trois mots sur les lèvres : Alexandria-Ocasio-Cortez.

Elle a 4 millions d’abonnés sur Instagram, un taux d’engagement qui reste très élevé et publie des contenus personnels, pugnaces, emblématiques. Ses contenus sont peut-être les premiers à atteindre un tel niveau de viralité en politique, ce n’est à mon avis qu’un début.

« Quand les gens engagent des polémiques contre vous, c’est la preuve que vous êtes vivant » (Jack Lang). Les polémiques peuvent-elles être utiles lors d’une campagne ? Auriez-vous un ou deux exemples de polémiques qui ont permis à la personnalité politique de tirer son épingle du jeu ?

(E.R-C) : L’exemple le plus remarquable remonte un peu. Je l’avais évoqué dans mon mémoire sur la communication numérique de la France Insoumise pendant la dernière présidentielle.

Lors des régionales de 2015, Jean-Luc Mélenchon tombe nez-à-nez avec un jeune étudiant en journalisme qui souhaite le voir répondre sur le sujet de la prostitution. En berne dans sa campagne et visiblement levé de mauvais pied, le candidat réplique durement : « tut tut tut petite cervelle tu fermes ta petite bouche et tu me parles politique »… la vidéo fera le tour de l’internet de l’époque. Ni une ni deux, Méluche encore peu connu du grand public à cette époque est invité sur le plateau du Grand journal pour répondre sur la polémique, puis sur d’autres plateaux.

C’est l’exemple le plus parlant de cette fameuse stratégie de la conflictualité mise en place depuis, stratégie qui défend les coups d’éclats parfois excessifs car cela génère une caisse de résonance clivante qui finit par fédérer les « dégoûtés de la politique », en plus d’être particulièrement efficace en termes de visibilité et d’engagement.

Pourquoi les citoyens sont-ils très critiques envers la communication politique ?

(E.R-C) : Ils le sont, à juste titre, comme le journaliste et le politique eux-mêmes sont décriés. En la personne du banquier, c’est bien la banque qui est dénoncée.

C’est pareil pour le communicant qui souffre d’être passé de l’oiseau des promesses (tweet-tweet) déclaratives, à l’oiseau de mauvais augure, de la novlangue de bois qui éteint la politique et qui explique aux citoyens soit que c’est la faute des autres, soit que le problème est insoluble, soit qu’ils ne comprennent pas… Forcément lassant.

En France, la distinction entre communication publique et communication politique est-elle claire ? 

(E.R-C) : Normalement, elle devrait l’être. Le communicant Thierry Herrant, par exemple, se plaît à rappeler régulièrement la distinction et son utilité !

Une confusion “jacobine” exerce par contre une influence délétère à ce sujet. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de différence entre la communication du Gouvernent, celle du parti majoritaire et celle d’institutions publiques parfois.

On peut imaginer aujourd’hui le Parlement européen ou la Cour des comptes faire de la communication très politique, ce qui était impensable il y a 10 ans. Une forme de tweeterisation de la communication institutionnelle, qui force les acteurs à rentrer dans une nouvelle arène, plus conversationnelle, plus clivante, plus idéologique.

Par ailleurs, les récents mouvements sociaux sont éloquents : on voit par exemple des préfectures, des syndicats de police, s’exprimer de manière plus politique que jamais.

Cette sortie du bois rejoint finalement l’évidence : la communication publique se politise car son objet lui-même est devenu un terrain de conflit politique. La légitimité de l’Etat à communiquer aux citoyens est à la fois remise en question par les citoyens et par la pratique de ses dirigeants.

Les algorithmes radicalisent-ils la communication politique ?

(E.R-C) : C’est un terrain expérimental déterminant car il est certain que la communication politique est de plus en plus numérique et que la communication numérique dépend des algorithmes. Mais il y a beaucoup de fantasmes sur le sujet. La plupart des algorithmes effacent le chronologique et donc aplatissent le relief du temps, pour laisser place à l’engagement. Les ragots – et de façon générale l’info – fonctionnaient de la même manière ! Crédibilité de l’émetteur, choc de l’info, viralité – et distorsion – du message sont autant d’enjeux.

L’engagement se base sur l’émotion mais pas que. On a vu sur Twitter que l’indignation était un moteur d’engagement mais ce n’est pas monolithique ; cela me rappelle la phrase d’Audiard dans le film Le Président : « le langage des chiffres a ceci de commun avec le langage des fleurs, on lui fait dire ce que l’on veut ». Le fameux bus Brexit et ses infox (fausses informations) sont passés par là…

Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?

(E.R-C) : Ce serait trop facile d’avoir des boucs-émissaires aussi convenables. La communication numérique offre des débouchés vastes et nouveaux aux politiques mais sur des plateformes très concurrentielles où le discours politique n’est pas, en soi, le plus viral. La radicalisation ne date pas d’hier, et on aurait tort de tout peindre en noir.

Les réseaux sociaux servent plutôt de révélateurs : ce que tel politique disait comme horreur dans un meeting obscur, ou faisait écrire sur un tract matinal ou sur une affiche choc, ce message est désormais gravé, public et « traçable » sur ces réseaux sociaux.  Donc ce n’est ni une solution miracle, ni un poison à proprement parler.

La culture du clash précède internet, tout comme le buzz, bon ou mauvais. Internet et les réseaux sociaux catalysent quelque chose de déjà présent et reconnu dans la société. Ce qui est certain, c’est qu’ils offrent un boulevard au discours excessif, extrémistes, déviants. Ce qui se passe sur Youtube, les recommandations, en est une bonne illustration.

Pour l’ancienne sénatrice Joëlle Dusseau, un élu doit savoir refuser de s’exprimer sur un sujet dont il n’a pas tous les éléments d’appréciation. Êtes-vous d’accord avec elle ?

(E.R-C) :  Totalement ! Certains le font même en avançant leur spécialité en creux ou en indiquant tel autre interlocuteur plus à même de répondre.

La tentation du tout commentaire est très présente, notamment dans la bouche d’éditorialistes intervieweurs dont on attend qu’ils puissent s’exprimer eux-mêmes sur des sujets qu’ils ne connaissent pas ou, au mieux, mal.

A-t-on déjà vu un Christophe Barbier refuser de répondre à une question ? Cette manie dépend aussi du numérique. Dés lors que l’information existe et circule vite, on attend des « experts » une forme d’omniscience. Le mieux reste de communiquer sur ses propres limites et en faire un atout.

L’évolution de la relation entre les médias et les personnalités politiques permet-elle d’expliquer certaines dérives de la communication politique ?

(E.R-C) : Certainement ! Les politiques et les médias (se) correspondent : forme d’élites détentrices du pouvoir si fantasmé de l’influence, très parisien, secret, dépendants souvent de l’argent public, ils attirent les critiques car ils correspondent moins à la réalité sociale du pays.

C’est pour cette raison que, parmi les politiques et les médias les plus épargnés par les critiques, il y a les maires et la presse quotidienne régionale (ainsi que les médias sociaux d’ailleurs) ! La proximité est vecteur de confiance.

Donc l’entre-soi d’un certain ancien monde, comme on dit aujourd’hui, est palpable : lors des dernières présidentielles, les nombreuses couvertures sur le candidat Macron témoignaient, en creux, d’un manque de ressemblance au pays. Chez LREM par exemple, il y a un décalage entre un discours d’en haut très dynamique, et derrière la désaffectation des élus (une cinquantaine de députés seraient partis dans la nature selon l’élue de Paris Olivia Grégoire

A cet égard il sera très intéressant de faire le bilan sur la stratégie à la Mimi Marchand : vendre le candidat Macron à coup de Paris Match et de magazines people était un pari tentant mais hasardeux. Pareillement pour la communication élyséenne récemment chez Valeurs Actuelles. Quel gain concret ?

Une personnalité politique peut-elle se passer de marketing politique ?

(E.R-C) : Elle pourrait mais y reviendrait d’elle-même sans s’en rendre compte ! Le politique qui veut s’éloigner des « artifices » de la communication politique s’en approche autrement…

Parallèlement le communicant politique qui s’imagine faire de la communication technique sans réellement avoir à se frotter aux enjeux idéologiques ou politiciens tombera de haut.

Les femmes politiques communiquent-elles de la même façon que les hommes politiques ? Les hommes politiques devraient-ils prendre exemple sur les femmes politiques ?

(E.R-C) : On ne voit pas a priori pourquoi elles communiqueraient différemment. En France, il faut dire qu’elles sont en soi une minorité, et de fait, leur communication détonne car leur image est différente. On voit avec l’Assemblée nationale plus féminisée que cela ne modifie pas significativement les enjeux de communication politique. Les plateaux restent très majoritairement masculins, ce qui pondère négativement le nouvel équilibre de 2017.

Finalement c’est dans ces autres pays où la politique est bien plus féminisée, pays anglo-saxons ou hispanophones par exemple, que les femmes politiques sont moins tributaires de cette image de renouvellement, ce qui donne plus de place au fond, notamment les avancées sur l’égalité femmes-hommes.


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