Interview d’Anne Testuz, experte en relations et en stratégie médias, en communication publique, politique et digitale. Elle a réalisé de nombreuses campagnes dans l’espace francophone.
Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Êtes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?
Anne Testuz (AT) : Pour la part, j’estime que la communication politique n’est pas au bord du gouffre. Je pense que les maux actuels de la communication politique viennent du changement des codes. L’apparition de nouveaux outils et les réseaux sociaux ont profondément transformé les codes de la communication politique. Or les parties prenantes de la communication politique ne se sont pas adaptées à ce nouvel écosystème venu de la révolution numérique. Les communicants n’ont pas compris les changements qui impliquent la transparence, la nécessité de rendre des comptes, la proximité. De mon point de vue, le mal dont souffre la communication politique actuellement vient de l’inadéquation entre le message diffusé et les nouvelles attentes des citoyens. Les décalages sont dénoncés en temps réel et devant tous : les nouveaux outils permettent au public de contredire publiquement une personnalité politique.
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
(AT) : Pas du tout ! Les citoyens veulent entendre la vérité. Aujourd’hui, il existe une véritable crise de confiance. Jusqu’à présent, les politiques disaient ce que les citoyens voulaient entendre, ce qui nourrit le populisme et le clientélisme électoral. Alors que dire la vérité au public, c’est s’inscrire dans une démarche de vérité sur des faits qui amènent une vision portée par des promesses tenables, vérifiables et qui vont au-delà des promesses électorales.
En quoi consiste le métier de communicant politique ?
(AT) : Le communicant politique ne se substitue pas au politique ni à celui de son Spin doctor. Il met en musique, la stratégie, le message. Il adapte le message aux différents publics, aux parties prenantes, aux différents acteurs. Il s’assure aussi du maintien de l’intégrité du message. En résumé : le communicant politique rend le message accessible à tous les publics en prenant soin de s’assurer de la bonne compréhension de chacun. La communication politique joue donc bien un rôle incontournable dans le fonctionnement de la démocratie. La transparence actuelle ne permet plus de masque. La communication politique permet les discussions et les débats. Comment faire adhérer le plus grand nombre ? En rendant les résultats visibles et en les mettant en valeur.
« Avant une campagne, le communicant politique doit passer toute la vie du candidat au peigne fin, c’est l’étape du confessionnal, car il y aura toujours des boules puantes » (Jacky Isabello). Pensez-vous que le candidat confesse vraiment à son conseiller communication tous ses vilains petits secrets ? N’y aurait-il pas un danger pour le candidat ?
(AT) : Oui le politique doit tout dire à son communicant ! Plus la campagne est importante, plus la vie du candidat doit être passée au crible jusqu’au secret le plus inavouable afin de le détruire ou de le sortir soi-même afin de l’enterrer. Tout savoir pour devancer, désamorcer les éventuelles « boules puantes ».
Pourquoi les citoyens sont-ils très critiques envers la communication politique ?
(AT) : Au coeur de la crise du système politique que nous vivons, le citoyen pense que la politique n’est plus que de la communication et qu’on lui ment. Il pense aussi que la communication est dévoyée car elle n’est plus utilisée pour vendre un programme, mais que la communication l’emporte sur l’action. Le politique part du principe qu’il constate la réalité mais il existe à l’heure actuelle un déphasage total entre élus et citoyens.
Ce déphasage repose sur une véritable crise de fond. Au sein de notre époque de grande transition, il existe un décalage entre les objectifs déterminés par les politiques et les préoccupations réelles des gens.
Il repose également sur une crise de forme. Avec la révolution numérique et les réseaux sociaux, nous assistons au télescopage de deux mondes.
D’une part, les réseaux sociaux apportent une possibilité d’ouverture et de débat, mais d’un autre côté, ils rétrécissent la pensée et les idées à leurs formats. Ils empêchent ainsi toute subtilité et contribuent à son hystérisation.
Les groupes, comme les groupes Facebook, contribuent eux, à radicaliser les membres partageant des idées communes et diminuent considérablement leur curiosité vis-à-vis de l’extérieur du groupe.
Les femmes politiques communiquent-elles de la même façon que les hommes politiques ? Quelles sont les grandes différences ? (mise en scène de la famille, de la vie privée, utilisation des réseaux sociaux…). Les hommes politiques devraient-ils prendre exemple sur les femmes politiques ?
(AT) : Il n’y a pas de différence. Certaines en jouent et se victimisent en se disant attaquées. D’autres jouent un double jeu, demandant à être traitées comme un homme, mais reprennent une posture de victime « parce que femme » dès qu’elle sort de sa zone de confort.
D’autres utilisent leurs vêtements comme outil de communication mais il règne une atmosphère encore assez sexiste dans ce milieu. On y voit donc beaucoup de femmes en tailleur-pantalon.
Lors d’une récente conférence internationale, une journaliste a demandé à la Présidente de l’Estonie, Kersti Kaljulaid, comment elle faisait pour concilier sa vie de famille et ses 4 enfants avec sa vie de chef de l’État. La réponse a été lapidaire : « Je suis vraiment navrée qu’on ne pose jamais cette question à tous mes homologues masculins. Je refuse de répondre à la question. »
Interview publiée en décembre 2019
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