Notre série sur le journalisme dans l’espace francophone continue ! Découvrez l’interview d’Alphonse Ken Logo. Journaliste togolais depuis 18 ans, il est actuellement responsable des informations sur une radio privée de Lomé, correspondant multimédia pour plusieurs médias internationaux et gestionnaire d’un site d’information https://africafullsuccess.com. Il est également membre du bureau de l’Agora des Professionnels de la Communication au Togo. Voici son opinion personnelle – qui n’engage pas le CCJF – sur le journalisme au Togo.

Pour vous, à quoi servent les médias ?

Alphonse Ken Logo (AKL) : Les médias servent de manière classique à former, informer et divertir.

Informer les citoyens de manière objective sur les faits et tout ce qui se passe dans leur pays et dans le monde. Une population bien informée, opère un choix rigoureux et convaincu.

Former de manière à permettre aux populations de leur champ de couverture d’être des citoyens avertis qui connaissent leurs droits et devoirs, qui participent effectivement à la construction et au développement de leurs milieux, voire de leur nation.

Divertir enfin pour assurer le plein épanouissement des populations.

Mais pour véritablement jouer son rôle de 4ème pouvoir et dans un contexte purement africain, les médias doivent servir plus au contrôle des actions des pouvoirs publics, et se donner les moyens pour leur indépendance.

Faites-vous une différence entre journaliste et communicant ? Si oui, laquelle ?

(AKL) : Il y a bien une différence entre journaliste et communicant. Elle se trouve dans l’objectif poursuivi dans la manière de travailler. Le journaliste entoure le traitement de l’information d’objectivité et d’une subjectivité latente dans le respect d’une certaine éthique et déontologie.

C’est le contraire chez le communicant qui défend aussi une certaine objectivité mais fait primer la subjectivité.Il ne se soucie que de la défense d’une image. Le communicant rassure, là où le journaliste provoque, surprend ou même déstabilise pour clarifier une situation.

Par exemple, s’interroger, aligner des questionnements conséquences d’hésitations possibles, est le propre d’un journaliste. C’est le contraire chez le communicant, qui sert l’information avec une affirmation confiante. Le communicant se soucie plus de la manière dont tout ce qu’il veut mettre en œuvre peut influencer, provoquer un changement de comportement auprès d’une cible avec un profit escompté.

Quels sont les grands médias écrits et audiovisuels dans votre pays ? A qui appartiennent-ils ? Quelle est leur ligne éditoriale ?

(AKL) :  Les grands médias écrits au Togo sont « Togo Presse », le quotidien national qui se présente comme une presse d’Etat, avec pour ligne éditoriale, la promotion exclusive de l’image du chef de l’état togolais et de l’ensemble de son gouvernement. D’ailleurs, ce journal présente uniquement à sa Une, des activités en lien avec le chef de l’Etat voire les membres du gouvernement du pays.

Au rang des médias écrits qu’on peut considérer comme « grands » au Togo, nous pouvons aussi citer cinq au moins du secteur privé notamment :

  • le quotidien privé « Liberté » dont le propriétaire est un journaliste très critique vis à vis du pouvoir de Faure Gnassingbé. Sa ligne éditoriale se rapproche de celle du bihebdomadaire « L’Alternative .
  • « L’Alternative » est un média écrit appartenant à un autre journaliste qui porte critique et exposition des failles dans la gouvernance du pouvoir en place.
  • « L’indépendant express », un hebdomadaire très critique vis à vis du pouvoir porté par un journaliste ne peut pas ne pas être cité pour ses investigations qui créent souvent le buzz.
  • le quotidien « Togo Matin » dont l’existence ne date pas de si longtemps, mais qui s’est très vite révélé comme un grand média écrit au Togo. Appartenant au Directeur de la Communication du Président de la République, mais dirigé par un journaliste, ce journal est dans la promotion constante de l’image du chef de l’état et de l’ensemble de son gouvernement.

On peut également citer le bi mensuel « Focus Infos », le bihebdomadaire « pour la Patrie l’Union ».

Précisions que le Togo dispose de plus 200 médias écrits dont la plupart ne paraissent pas régulièrement.

Au titre des médias audiovisuels, les radios Kanal FM, Victoire FM, Zephyr, Nana FM, Taxi FM, Pyramide Fm et Radio Lomé… retiendront notre attention. Le secteur de la télédiffusion est dominé par la TVT (télévision nationale togolaise).

New World Kanal Fm, est la meilleure radio et la plus écoutée du Togo ; elle a un caractère commercial et traite de l’actualité. Quant aux radios victoires, Nana Fm et Taxi Fm et Pyramide FM, elles appartiennent à des hommes d’affaires du pays et traitent l’actualité avec indépendance, dans le respect des règles du métier.

A la seule différence que les propriétaires des radios Taxi FM, Zéphyr fm, Pyramide Fm sont des collaborateurs, amis ou partisans de Faure Gnassingbé et de son parti. Radio Lomé, est une radio nationale à caractère public. Elle vise à servir l’image du gouvernement.

Pour ce qui concerne les télévisions, la TVT complète les médias d’Etat qui font la promotion de l’image du chef de l’Etat et des actions gouvernementales.

New world TV est un média télévisuel privé, appartenant à un homme d’affaire très peu connu. Sa ligne éditoriale est ambigüe.

Citons en passant quelques médias en ligne qui sont portés par des journalistes togolais qui font un travail extraordinaire au point de devenir essentiel dans la diffusion d’informations crédibles au Togo : https://republicoftogo.com, https://africardv.com, https://togobreakings.info, https://africafullsuccess.com, https://l-frii.com

Quelles sont les difficultés d’exercice du métier de journaliste dans votre pays ?

(AKL) : Deux difficultés majeures : l’accès aux informations et à la documentation et le manque de moyens financiers.

Même si le gouvernement a fait voter récemment une loi donnant libre accès aux informations publiques près des structures de l’Etat, des institutions et de l’ensemble du gouvernement, il est toujours difficile d’avoir accès aux informations souhaitées par un journaliste au Togo. Ce qui complique le travail de ceux qui veulent investiguer ou faire un travail au-delà des faits pour éclairer la lanterne des populations.

Le manque de moyens est la plus importante des difficultés de travail pour les journalistes au Togo. En dehors des journalistes du secteur public qui bénéficient des mêmes avantages que les autres fonctionnaires publics (la tendance actuelle est de migrer vers un office pour une amélioration de leurs conditions de vie et de travail), les journalistes employés dans le privé vivent difficilement, et manquent de tous les moyens pour exercer « efficacement » le métier du journaliste.

Le salaire moyen d’un journaliste employé dans le privé au Togo à ce jour, selon le syndicat National des Journalistes Indépendants du Togo, est d’environ 50.000 Fcfa, soit 100 USD.

Il n’existe pas de convention collective à ce jour qui définisse les conditions de travail entre employeurs et employés dans le secteur privé des médias au Togo. Rares sont ceux qui ont une couverture sociale, pas d’assurance de travail, etc. Conséquence : les journalistes privés togolais prennent peu ou presque pas de risques dans la recherche et le traitement de l’information.

Quels sont pour vous les 3 plus grands journalistes de votre pays ? Pourquoi ? Quels sont les journalistes de votre pays qui sont pour vous des modèles ?

(AKL) : Il y a de bons et grands journalistes au Togo. Citons en trois :

Ferdinand Ayité, directeur de publication du journal « Alternative ». Journaliste d’investigation, il assume ses écrits et les défend depuis plusieurs années de manière constante.

Carlos Komlanvi Ketohou, directeur de Publication du Journal « l’Indépendant Express », journaliste d’investigation, il s’est régulièrement attaqué à la mauvaise gouvernance, aux pillages et détournements de fonds et a même provoqué la chute de puissants ministres du gouvernement au Togo.

Innocent Kodjo Tété Gawou alias Sas Gawou. Journaliste de presse écrite devenu aujourd’hui une star de la radio, il est la voix la plus suivie de nos jours au Togo. Son émission « le Club de la Presse » animé tous les jours de lundi à vendredi sur Radio Kanal Fm entre 11h et 12h30 met tout le pays aux arrêts. Même parfois critiqué, il continue de faciliter la compréhension de l’actualité au quotidien avec ses invités en studio.

Au titre de journalistes modèles, nous nous permettons de ressortir quelques noms qui ne sont plus au devant de l’actualité ou qui sont des journalistes indépendants ou encore qui travaillent dans l’ombre désormais.

Noel Kokou Tadégnon, correspondant de Reuters et plusieurs grands médias à Lomé, il porte loin, le nom du pays, enseigne le journalisme (médias sociaux, web etc…) à l’Université de Lomé et dans plusieurs pays de la sous-région. Son nom stimule l’envie de faire du multimédia au Togo.

Latevi Ebenezer, journaliste, ancien directeur général de la télévision togolaise, il bénéficie toujours de tous les respects dus à sa qualité de journaliste. Toujours disponible pour transmettre ses connaissances et montrer la voie aux plus jeunes.

Daniel Lawson Drakey, journaliste plus connu aujourd’hui comme consultant sur les questions médias au Togo et dans la sous-région, c’est un éditorialiste hors pair dont les productions diffusées autrefois sur radio Nana Fm au Togo qui ont toujours fait froid dans le dos. Aucun autre éditorialiste ne s’est encore illustré comme lui depuis sa disparition des antennes au Togo.

Que faudrait-il faire selon vous pour améliorer le journalisme dans votre pays ?

(AKL) : Au Togo, le code de la presse est dépénalisé. Mais plusieurs journalistes sont régulièrement poursuivis devant les juridictions togolaises au grand mépris de ce code de la presse. Ce comportement décourage la prise d’initiative. Les journalistes qui critiques souvent le mode de gouvernance des acteurs étatiques se plaignent toujours qu’ils sont privés des publicités des sociétés d’Etat. De même, si les médias manquent de moyens, on ne peut réussir à faire du journalisme une véritable profession au Togo.

Une stratégie efficace de viabilisation doit être mise en place pour mobiliser les moyens nécessaires à l’exercice efficace de ce métier. L’Etat au plus haut sommet doit y contribuer grandement. Il en va de l’image du pays.

Pour finir, les nouveaux journalistes au Togo, contrairement au passé (formés sur le tas) sortent des écoles accréditées dans le pays. L’Etat doit veiller ensemble avec les organisations professionnelles de médias au renforcement du niveau de la formation qui est donné.

Interview publiée en janvier 2020