Interview de Régis Hounkpé, Directeur exécutif du cabinet InterGlobe Conseils.
Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Etes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?
Régis Hounkpé (RH) : Personnellement, je trouve le constat de Dominique Wolton lapidaire. Mais il repose sur un état des lieux objectif de l’impact problématique de la communication politique vis-à-vis de la société, du collectif et des citoyens. La communication politique, aujourd’hui, est parfois comprise comme un agrégat de manipulations et d’arrangements avec la réalité pour servir et perpétuer le pouvoir d’un homme ou d’une femme, d’un parti politique ou d’une cause. Ce travestissement ne sert en définitive pas la politique et encore moins le personnel politique. Il y a clairement un manque d’authenticité et d’éthique générateur de populisme et de démagogie en politique. Parfois, les sociétés ne sont pas dupes et les résultats dans les urnes ou parfois dans la rue sont dévastateurs.
Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?
(RH) : C’est toute la complexité de l’action et du discours politiques, et incidemment du travail du communicant qui doivent rester proches des aspirations des citoyens. Le politique a le choix de la sincérité dans la douleur ou du travestissement pour flatter les égos ou les intérêts résiduels des citoyens. En règle générale, la nuance intervient en faisant passer la pilule dans un flou bien entretenu : « feuilletonner » les mauvaises nouvelles tout en accordant des avantages limités dans le temps. Mais, je pense qu’il y a un intérêt durable à faire de la pédagogie et à anticiper les mauvais coups. Une douloureuse vérité est plus gérable que d’alimenter le populisme, mortifère pour la démocratie. C’est un exercice périlleux mais indispensable.
Qu’est-ce qu’un bon discours politique ?
(RH) : Un discours doit être incarné par celle ou celui qui le prononce, convaincant, avec du souffle et des références autant dans le passé, le présent et qui projette l’avenir. En réalité, le discours idéal n’existe pas ou assez peu. Les politiques et leurs entourages se rendent souvent compte qu’ils n’ont pas assez dit ou trop dit mais peut-on tout dire ou faire bonne mesure ? Le bon discours politique doit avoir un impact immédiat et au décryptage, il doit servir de boussole à l’action politique. Un bon discours ne doit pas brouiller les pistes, mais livrer des messages clairs, assimilables par le plus grand nombre contrairement à ce que nous pouvons parfois observer en France ou ailleurs : des discours de l’entre-soi s’adressant à des coteries.
Selon Jacky Isabello, « avant une campagne, le communicant politique doit passer toute la vie du candidat au peigne fin, c’est l’étape du confessionnal, car il y aura toujours des boules puantes ». Pensez-vous que le candidat confesse vraiment à son conseiller communication tous ses vilains petits secrets ? N’y aurait-il pas un danger pour le candidat ?
(RH) : Le candidat a droit à son jardin secret. Je suis absolument contre ce culte contemporain de la transparence jusque dans l’intimité. Je trouve qu’on jette souvent en pâture des histoires qui ont un intérêt nullissime pour le débat et l’action publiques et politiques. Quand on n’a rien à se reprocher, tant que cela n’a pas d’impact sur son action politique, passons à autre chose. Personnellement, je ne veux pas m’ériger en curé et soumettre un candidat à cet exercice intimiste et d’évaluation de sa probité. Cette injonction sociale à disposer de politiques vertueux est une illusion jusqu’au-boutiste de notre époque qui exige des autres d’être des saints alors que nous sommes tous des êtres complexes avec nos faiblesses et nos failles ! En Afrique, il y a des tabous qui appartiennent au candidat et ne doivent pas être exposés pour satisfaire un quelconque voyeurisme ou une hypocrite exigence de transparence.
François Mitterrand estimait qu « une campagne repose sur plusieurs piliers : il faut un candidat sachant faire campagne, un parti en ordre de marche et un projet ou du moins trois ou quatre mesures phares qui indiquent une direction ». Est-ce vraiment aussi facile que ça ? Y a-t-il des éléments qui manquent ?
(RH) : Tout y est mais il faut compter avec l’imprévu, le coup de pouce, l’événement de dernière minute, la bonne étoile qui bouleverse tout. Je pense que ce qui est essentiel, c’est surtout l’adhésion avec le peuple au moment où il est sollicité. Bien sûr, il faut une machine électorale, un état-major politique, des financements conséquents, de l’expérience mais Emmanuel Macron a prouvé en France que cela peut se jouer en moins de deux ans, dès que l’électorat démontre de l’intérêt. D’ailleurs, son partenaire politique François Bayrou l’avait bien théorisé en ces termes :« l’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un pays, d’un homme et d’un peuple ». En Afrique francophone, c’est pratiquement pareil, avec des nuances sociologiques selon les pays. Les excellents livres qui ne trouvent pas de lectorat font des écrivains talentueux mais ratés ! L’objectif ultime, c’est la rencontre du candidat et de son peuple !
Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques
(RH) : Les réseaux sociaux sont à la fois la médaille et le revers et pour la communication politique, cela permet d’accélérer et de créer de l’adhésion… mais le rythme parfois imposé est dangereux pour la politique. Trop d’informations biaisées, de précipitation, de course à la formule incisive, de duplication illimitée des éléments de langage ! Les réseaux sociaux sont le symptôme de ces dérives, souvent métamorphosé en lieu convenu du prêt-à-penser pour les internautes et potentiels électeurs et parfois le déversoir de toutes les haines et extrémismes. Je crois en un usage qui optimise les messages politiques et de façon modérée car le contact direct avec les citoyens est un privilège en communication politique en France ou en Afrique. Je plaide surtout pour que chaque pays en Afrique possède un code numérique politique qui dispose des usages en politique, sans excès et répression pour les libertés individuelles, de presse et d’opinion.
Interview publiée en septembre 2020
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