Article d’Yvan Boude, docteur en sciences politiques, auteur d’une thèse sur les portraits officiels des Présidents de la République.
Tout a débuté par un tweet de la porte-parole d’Emmanuel Macron précisant que pour son investiture, « le président sera habillé d’un costume de chez Jonas et Cie, magasin situé rue d’Aboukir à Paris. Le coût d’un costume est d’environ 450 euros ». La nouvelle fit rapidement le tour des rédactions et les exégètes perçurent dans ce choix autant une manière de délaisser « les riches costumes de banquier d’affaires pour des tenues au prix plus normal aux yeux du peuple » que « des gages de transparence et de sobriété après [le] scandale des coûteux costumes sur-mesure offerts à François Fillon ». Une chemise blanche et un costume Dark Blue bon marché, tel serait désormais le nouvel uniforme du chef de l’État.
Derrière l’apparente frivolité de cette actualité se dissimule pourtant une question essentielle : comment doit-on s’habiller pour exercer le métier qui est le sien ? Et comment le vêtement devient-il alors un objet performatif doté, comme le rappelait Jean Cazeneuve, d’une « signification que ne comporte pas le seul besoin de se vêtir » ?
Le costume de Président n’est pas fourni par l’Élysée
Chose curieuse, contrairement à certaines fonctions dont l’apparence vestimentaire est aujourd’hui encore scrupuleusement normalisée, le contenu de la garde-robe présidentielle n’a fait l’objet d’aucune codification. La République s’est en effet attachée à imposer une tenue pour les cérémonies officielles ou les apparitions publiques de quelques-uns de ses représentants, des uniformes du corps préfectoral aux robes des magistrats, rappelant volontiers qu’il lui semblait indispensable que leur autorité « se révèle par le port des insignes distinctifs de leurs fonctions ». En revanche, elle s’est toujours refusée à traduire officiellement par l’apparence la position, autant hiérarchique qu’honorifique, de son premier représentant.
La question aurait pourtant pu être posée dès la loi constitutionnelle du 25 février 1875 organisant les pouvoirs publics, puisque son article 3 imposait au chef de l’État de présider, sans repos ni trêve, les solennités. Pourtant, rien ne révèlera comment celui-ci devait s’habiller pour y représenter dignement la France et la République. Quatre ans plus tard, au lendemain du scrutin présidentiel, Jules Grévy recevait des mains du général Vinoy le grand cordon de la Légion d’honneur, ordre dont le chef de l’État est reconnu grand maitre lors de son élection. Dans le compte-rendu de cette réunion intimiste, un journaliste pronostiqua que ce sera donc affublé de cet « insigne suprême que le nouveau président de la République se présentera aux réceptions officielles ».
Un costume de notaire de province rehaussé des regalia républicaines
Une intuition visionnaire puisque désormais, pour leur portrait officiel puis à l’occasion des solennités nationales comme de leurs déplacements officiels, tous les présidents de la Troisième République quitteront instinctivement leur tenue de ville pour revêtir un frac noir, qu’ils associeront à une chemise et à un nœud papillon blanc. Rien de très distinctif au demeurant, puisque ce costume de circonstance est celui que l’on revêt ordinairement « aux dîners d’apparat, aux grandes soirées, aux grandes réceptions » selon le manuel de Savoir vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses d’Ermance Dufaux de la Jonchère. En revanche, « comme signe de [leurs] nouvelles fonctions », ils épingleront sur leur veste la grande plaque de la Légion d’honneur puis passeront en écharpe, sous leur gilet d’habit, le grand cordon rouge moiré se terminant par un nœud auquel est suspendu l’insigne d’or de grand’croix.
S’habiller pour affirmer son autorité, traduire son rang et manifester sa légitimité
Véritable dispositif au cœur de la mise en représentation du pouvoir, cette « grande tenue de président de la République » comme la nommera Gustave Goetschy dans son Matin-Salon, dispose en effet de bien des avantages. Il fige une identité reconnaissable au premier regard, certifiant par là-même l’appartenance à un groupe facilement identifiable. Il traduit une idée de distance en rendant visible les hiérarchies et en imposant une altérité radicale, une déférence contrainte, une sacralité républicaine. Enfin, il crée une fiction républicaine et affirme une continuité entre les différents Présidents, alors que l’essence même de la République est de ne connaître aucune solution de filiation. Présider, se serait donc aussi s’habiller non pas seulement pour ne pas paraître nu, mais surtout pour apparaître vêtu avec l’intention d’affirmer sa légitimité, traduire son rang, manifester son autorité.
C’est autour de cette trinité que la garde-robe présidentielle faillit connaitre un complet renouvellement dès 1887. Durant les premiers mois du septennat de Marie François Sadi-Carnot courut ainsi le bruit qu’il était question de doter le président de la République d’un uniforme d’apparat. Un papotage plus ou moins informé qui suscita la consternation des plus républicains aux cris de « quoi ! Changer le démocratique habit noir pour un habit brodé, souvenir des vieilles monarchies ! Faire porter des diamants au président de la République, comme à un simple Schah de Perse ! Folie ! Trahison ! ». Et enterra pour un temps l’idée d’un éventuel relooking présidentiel.
Un dressing présidentiel qui restera sans uniforme, sans épée ni galons
Pour un temps seulement car, alors que la France républicaine attendait impatiente la visite du Tsar prévue en octobre 1896, la marotte réapparue. Félix Faure, sixième président de la Troisième République, s’inquiétait lui-même de devoir accompagner « Nicolas II avec une tenue de maître d’hôtel ou de garçon de café ». Fâcheux lorsque l’on souhaite faire son « métier qui est de représenter la France, de la représenter aimable et digne sous la forme républicaine comme elle l’était sous les anciens régimes ». Un projet signé Gerbeau-Duchet fut même dévoilé par Le Figaro à la fin de l’année 1895 sous la forme d’un habit de satin bleu roi à broderie d’or, bois et feuilles de chêne avec glaives, parsemé de fleurs de narcisses entourées de pensées avec de chaque côté de la poitrine, un faisceau de licteur. À marier avec un chapeau à plume blanche, insigne du commandement suprême, et une écharpe blanche brodée, à laquelle était attachée une épée à la poignée richement ciselée.
Une nouvelle fois, aucun compromis fut possible entre ceux qui trouvaient insuffisant, pour représenter dignement la République « dans le faste des monarchies qui l’entourent, le prestige dû à la coupe austère d’une redingote, voire au luxe d’un habit dont les maîtres d’hôtel partagent le privilège avec le chef de l’État » et ceux qui jugeaient irrecevable l’idée même que « la France, républicaine depuis 26 ans, [veuille] jouer à la monarchie, et s’ingénier à rivaliser de distinction avec ses aristocratiques voisines ». Pour les esprits les plus républicains, un uniforme, une épée, des galons symboliseront toujours le commencement de la royauté ou de la dictature. Si bien que la « grande tenue » restera longtemps la pièce maitresse du dressing présidentiel. Albert Lebrun l’adoptera pour les rencontres diplomatiques et les cérémonies nationales ; Vincent Auriol et René Coty pour poser devant l’objectif de leur portraitiste officiel ; Georges Pompidou pour présider ses premiers 14-Juillet.
La victoire de « l’esthétisme démocratique » ?
Cette tradition vestimentaire semble tomber en désuétude dès la cérémonie d’investiture de Valéry Giscard d’Estaing. Contrairement à l’ensemble de ses prédécesseurs, le jeune Président qui a « toujours ressenti une réticence devant les signes ostentatoires du pouvoir : les mitres, les crosses, les harnachements de décoration » apparaît en effet à cette occasion en simple costume et sobre rosette. Pourtant, ni lui ni ses successeurs ne remiseront définitivement au placard leur habit noir et leur grand cordon. Il l’enfilera par exemple pour un dîner de gala offert aux souverains suédois ; François Mitterrand pour la cérémonie officielle saluant son arrivée au Danemark ; Nicolas Sarkozy pour un banquet offert au palais de Windsor en l’honneur de l’amitié franco-britannique. Et, Emmanuel Macron s’en saisira lui aussi pour la réception au château de Laeken clôturant son tour de Belgique, troquant seulement le rouge de la Légion d’honneur pour le violet amarante de l’ordre de Léopold. Suède, Danemark, Grande-Bretagne, Belgique… autant de monarchies constitutionnelles où le souverain se pare aujourd’hui encore de ses plus beaux atours pour accueillir les hôtes de marque. Mais ceci est une autre histoire…