Investi depuis plus de 10 ans au coeur des stratégies de communication et de co-conception des projets à différentes échelles, aussi bien nationales que locales, Kevin Guerel oeuvre au service du dialogue de la société. Il est actuellement Président de l’agence PUBLIC(S) et de l’agence REAL AMBITION WORKOUT. Interview.

Dans une interview, Dominique Wolton a estimé que la communication politique est au bord du précipice. Etes-vous d’accord ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les principaux maux de la communication politique ?

Kevin Guerel (KV) : La communication politique connaît effectivement une situation délicate parce que la société, dangereusement fractionnée, ne croit plus en l’intérêt général. Il fonde notre logiciel à penser la société, bien souvent prophétisée, malgré son décalage majeur avec une réalité qui jure par « la somme des intérêts particuliers » aux prémices du wokisme. Accéléré par des outils numériques ubiquitaires, profondément saturés, un gouffre s’installe et rend la communication politique relativement inaudible, aussi bien sur sa forme que sur son contenu. La communication politique souffre depuis trop longtemps de ce dévoiement originel qui entretient une incompréhension entre les habitudes, les tendances et les attentes des citoyens et les modes et canaux employés et les messages développés par la communication politique. 

Les personnalités politiques sont-elles condamnées à dire ce que les citoyens veulent entendre ?

(KV) : Les citoyens méritent mieux que des personnalités politiques prisonnières du populisme. N’est-ce pas la définition de l’intérêt général que de rechercher la transcendance des appartenances et des intérêts particuliers ? Parce que la chose politique est par essence complexe, hétérogène et vivante et parce que pour « faire projet », un diagnostic doit être exigeant, critique et clairvoyant, « ce que veulent entendre » les citoyens ne pourra jamais suffire pour créer l’adhésion. C’est un épouvantail de notoriété à court terme encouragé par les principaux outils de la communication politique, exigeant toujours plus de synthèse dans l’expression, laissant moins de place à la complexité et au développement. C’est le rôle du communicant politique de savoir organiser et structurer la parole politique pour les différentes cibles et de savoir faire d’une vulgarisation sensée un outil pour développer des idées plus ambitieuses.  

De quoi la communication politique a-t-elle besoin pour se régénérer ?

(KV) : De manière générale la communication politique a besoin de recul, d’ordre et globalement de (re)connexion avec le réel. 

Le recul permet la prise de hauteur pour définir les messages et porter les sujets clés sur des enjeux percutants et efficaces. Il permet aussi de placer la parole politique à un autre niveau que « l’exigence du direct » et de pouvoir hiérarchiser les actions de communication.

La communication politique doit être ordonnée sur la base d’une stratégie, bien souvent inexistante. Il s’agit du socle fondamental pour développer une communication plus efficace, mieux ciblée, plus ambitieuse et à l’image de l’élu et du territoire. 

Les territoires et les citoyens sont une source intarissable d’inspiration pour créer des démarches ou des formats adaptés. La compréhension des enjeux de société, des territoires et plus spécifiquement des attentes des citoyens à l’égard du politique est probablement le plus important. Nombre de communicants se réfugient derrière des outils « classiques », de moins en moins efficaces, et par leur mécompréhension des attentes et des modes de vie actuels, sont craintifs à l’idée d’utiliser des outils plus modernes ou innovants. Pourtant, lorsqu’ils sont employés avec sens, intelligence et dans le cadre exigeant d’une stratégie globale, tout se passe bien.

David Ogilvy disait : « Ne méprisez pas les mots qui ont fait leurs preuves comme étonnant, nouveau, maintenant, tout à coup ». Cette citation, valable pour le secteur de la publicité, a-t-elle vraiment un sens en communication politique ?

(KV) : Le mépris pour certains vocables est souvent d’origine politique. Si « au commencement était le verbe », le communicant politique doit savoir associer à son profit la teinte des mots, des superlatifs aux effets d’annonces. 

Pour autant, l’histoire a démontré qu’il est essentiel de lutter contre les défauts de nos métiers à user de ces termes sans modération au péril d’en abimer le signifié, au profit bien souvent d’une novelangue rarement profitable au citoyen. Comment connecter la nouveauté à la masse (« franchir le gouffre » et passer des « early adopters » à la cible de masse de Geoffrey Moore) si plus personne ne croit en la magie du nouveau, de l’étonnant ou du tout à coup ? Des termes donc à utiliser avec précaution et stratégie.  

Il conviendrait plutôt d’analyser si la nouveauté, l’étonnant, le soudain est réellement bénéfique au monde politique et si cet état sert l’intérêt général car s’il est concevable de créer l’attente et la surprise, sa déception sur le ring politique est toujours un uppercut violent dont les acteurs ont du mal à se remettre. Des termes donc à utiliser avec intelligence. 

Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube contribuent-ils à « extrémiser » les positions politiques ?

(KV) : Les réseaux sociaux galvanisent la meute. Les codes de la communication plongent le communicant dans le challenge d’une « campagne permanente », incitant chaque jour à la réaction, à propulser de nouveaux slogan et punch line là où l’exercice du temps politique incite à prendre la hauteur exigée par la fonction. Les réseaux sociaux poussent ainsi à radicaliser les postures puisque par définition, le fait d’exprimer une idée complexe en peu de mots la rendra plus simple et de facto plus radicale. Il conviendrait de s’interroger sur le sens de l’utilisation des réseaux sociaux : un relais de l’action politique plus que des idées pour éviter cet effet pervers.  On peut enfin noter que le « toujours plus » est une tentation grande qui ne séduit que les « candidats du vide », un engrenage à court terme qui dispose d’un plafond de verre. Très tentant mais qui n’a jamais su fédérer et pousser au vote la majorité d’indécis dont les idées sont plutôt mesurées. 

Interview réalisée par Damien ARNAUD et publiée en avril 2024